Chapitre 19

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18 août 1940

Je savais, j'avais compris qu'en devenant l'un des gardes de ce camp si proche de la région où j'avais passé mon enfance qu'il y avait des probabilités que je reconnaisse l'un ou l'autre prisonnier. Katowice, comme toutes les autres villes de Pologne, était tombée aux mains des Allemands quelques jours seulement après l'invasion du pays et tous les captifs de la région étaient amenés ici petit à petit.

Outre mon père, Ernst et Karl, il y avait une personne que je ne voulais plus jamais voir de ma vie et malheureusement elle se trouvait ici à l'infirmerie du camp en raison d'une bagarre entre prisonniers.

Je suis franchement étonné que tous les concernés n'aient pas été fusillés immédiatement. Ils ont peut-être bénéficié d'une certaine clémence car il faut que la construction et les aménagements du camp avancent et si tous les prisonniers sont exécutés, il ne restera aucune main-d'œuvre pour terminer les travaux.

Lorsque je pousse la porte de l'infirmerie, je soupire et je dois prendre sur moi pour tenter de calmer la colère qui m'envahit petit à petit mais, comme n'importe lequel prisonnier, il est sous ma garde et je dois le ramener à son groupe de travail puisqu'il a été soigné et qu'il est de nouveau apte à exécuter les tâches qui lui sont demandées.

Hier, malgré ses lamentations, malgré ses supplications, je l'ai ignoré et je me suis comporté comme le parfait soldat SS que j'étais devenu : je l'ai poussé à de nombreuses reprises pour qu'il avance plus vite et j'ai plusieurs fois hurlé mes ordres en allemand pour lui faire comprendre qu'il n'avait rien à attendre de moi.

L'infirmier me tend une feuille que je signe machinalement, confirmant ainsi que je suis responsable du transfert et de la réintégration du détenu dans son équipe. Je me dirige ensuite lentement vers la pièce où l'homme a passé la nuit puis je marque une brève hésitation et j'entre dans sa chambre.

Grzegorz Wojtowicz me dévisage toujours avec un air de chien battu mais cela ne me fait ni chaud ni froid : cet homme a fait en sorte de transformer ma scolarité à Katowice en véritable enfer et je sais que je ne suis pas prêt à lui pardonner. L'ancien professeur me fixe maintenant d'un air terrifié et je dois reconnaître que voir les rôles enfin inversés n'est pas pour me déplaire.

J'ai le sentiment de pouvoir encore sentir les nombreux coups de bâton et les gifles qu'il n'avait cessé de me donner, je pouvais encore me rappeler avec précision chaque humiliation subie devant mes camarades de classe et surtout je n'avais pas oublié sa manière de me regarder et de me parler, moi le fils d'un escroc alcoolique, alors que lui faisait partie de la famille la plus fortunée de la région.

Je l'avais entendu dire au directeur de l'école que ma présence dans sa classe était un véritable affront pour lui, professeur respectable et respecté. Puis, après cette entrevue, il ne s'était pas fait prié pour me traiter de tous les noms, pour m'insulter et me rabaisser tant il était furieux de devoir me supporter à proximité immédiate de sa petite personne.

A présent, il était devant moi, vêtu de l'uniforme règlementaire, les cheveux en bataille, le regard fuyant et le dos vouté.

Je n'arrive pas à le plaindre tant cet homme avait été mon pire cauchemar durant de longues années.

- Adam...

Sa voix tremblotante me sort de mes pensées et je le fixe à nouveau avec un air de dégoût : il a compris que je ne répondrais pas dans notre langue aussi, il s'adresse à moi dans un allemand sommaire et approximatif et j'avoue que je suis très satisfait de savoir que je maîtrise bien mieux que lui cette langue.

Les sentiers de l'espérance {publié aux éditions Poussière de Lune}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant