Chapitre 15

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29 septembre 1939

A mon grand désespoir, la résistance de mes compatriotes n'a pas duré très longtemps : Warszawa a capitulé hier à 13h15. Il se murmure que l'armée allemande a fait plus de 100 000 prisonniers rien qu'avec le seul siège de la capitale de mon pays natal.

Le Führer a quelque peu déchanté en constatant que la ville n'était pas prise par la Wehrmacht dès le 17 septembre comme il l'avait souhaité. Lors de sa venue il y a cinq jours, il a également été informé des pertes subies par son armée : une nouvelle fois ce ne sont que rumeurs mais certains parlent de plus de 10 000 allemands tués et près de 600 chars détruits.

Je ne crois pas qu'Hitler ait envisagé des pertes aussi importantes mais quoi qu'il en soit, il a atteint son objectif car les Russes de leur côté ont également lancé leur offensive et il ne reste que quelques poches de résistance ici et là dans le pays. D'après nos supérieurs, la Pologne sera totalement soumise dans une semaine.

Je suis sidéré par la rapidité avec laquelle l'Allemagne a mis à genou un pays aussi grand et je commence vraiment à avoir peur pour les autres pays européens. Bien entendu, je doute qu'ils se laissent faire : je pense notamment aux anglais que semblent craindre de nombreux officiers de la Wehrmacht. Cependant, lorsque je vois le résultat ici en Pologne, je commence à comprendre qu'Hitler a soigneusement préparé son plan depuis des mois et même des années : il veut dominer l'Europe et...en l'état actuel des choses, je ne suis pas certain qu'il existe une puissance capable de lui tenir tête. Oui, les Anglais peut-être mais, ont-ils réellement envie de venir soutenir mon propre pays ?

Les membres de ma division sont bien loin de toutes ces considérations : les victoires que nous avons enchaînées ont augmenté leur soif de conquête et ils n'attendent qu'une chose, c'est de repartir au combat. Je ne comprends pas leur enthousiasme car nous avons quand même perdu beaucoup d'hommes dans cette guerre éclair et je redoute que l'inexpérience qui caractérise nos troupes ne devienne notre point faible. Pour l'instant, nous avons eu beaucoup de chance : la jeunesse des soldats allemands, leur fougue et leur enthousiasme ont rendu possible cette victoire éclatante face à une armée nettement moins bien entraînée  et disposant de moins de moyens. Mais qu'en sera-t-il le jour où le Führer décidera de nous faire débarquer en Angleterre ?

Nous savons que nous n'avons normalement plus rien à craindre ici à Warszawa aussi l'ambiance est assez détendue dans nos rangs. Depuis hier soir, nous sommes parqués dans un immeuble à moitié en ruine en attendant de connaître les instructions pour les prochains jours. Certains en profitent pour dormir un peu, d'autres jouent aux cartes et d'autres encore discutent de leur avenir militaire.

Je regarde distraitement ma main gauche qui serre mon fusil presque machinalement : depuis trois semaines, je suis incapable d'arrêter ses tremblements presque incessants. Cette guerre à laquelle je suis forcé de participer m'a totalement traumatisé : nous avions été préparés à la caserne à certaines situations, un médecin nous avait détaillé les blessures que nous risquions sur le front mais rien ne m'avait préparé à la barbarie de mes camarades. C'était une chose de voir Karl ou les gardiens de Sachsenhausen à l'œuvre, c'en était une autre de voir des hommes s'en prendre avec autant de violence à d'autres êtres humaines.

Ce que j'avais vu au Konzentrationslager me semblait presque dérisoire face à la cruauté à laquelle j'avais été exposé. Je ne cesse de ressasser encore et encore les images de notre très bref passage dans la région de Łódź où le sadisme et la sauvagerie de l'armée allemande avaient atteint leur apogée. Mark avait littéralement explosé de rage en constatant que des citoyens polonais avaient massacré des résidents allemands.

Ses représailles avaient été à la hauteur de sa fureur : il avait choisi 10 prisonniers au hasard et avait chargé plusieurs soldats de les battre jusqu'à ce que mort s'en suivent. Ensuite, il avait donné en pâture plusieurs jeunes femmes à quelques officiers qui ne s'étaient évidemment pas fait prier pour soulager leurs pulsions. Je croyais qu'il s'arrêterait là mais il avait fait exécuter, sous les yeux de leurs parents, une vingtaine d'enfants et il avait demandé de piller et incendier presque toutes les maisons encore intactes : la division avait quitté la ville en emportant les biens les plus précieux des pauvres civils encore vivants.

Les sentiers de l'espérance {publié aux éditions Poussière de Lune}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant