Chapitre 18

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17 août 1940

Le fusil à la main, je fixe comme chaque matin, le portail de l'une des entrées du camp : comme à Sachsenhausen, il porte l'inscription Arbeit macht frei. J'ai finalement compris que c'était une sorte de blague de mauvais goût puisque je sais parfaitement qu'aucun prisonnier du camp ne sera jamais libéré.

Je ne pensais pas que je reviendrais un jour aussi près de ma ville natale et je n'imaginais pas que ce serait dans un tel contexte. Les rumeurs s'étaient finalement confirmées lorsque je me trouvais à Łódź et j'avais vu juste sur les intentions de Mark en ce qui concernait ses ambitions.

Il n'avait cependant pas prévu de venir ici à Oświęcim et surtout, il n'avait pas compris qu'il s'agissait de la région où j'avais grandi. Il avait refusé dans un premier temps puis, poussé par je ne sais quel instinct, il avait demandé la localisation de ce nouveau camp et j'avais pu voir dans ses yeux une sorte de lueur démente quand il avait appris qu'il se situait à 30 kilomètres au sud de Katowice.

Si j'avais pu disparaître sous terre ou me rendre invisible je l'aurais fait sans hésiter car je savais que dès la seconde où il avait fait le lien entre moi et la localisation du Stammlager, mon avenir était tout tracé.

Nous sommes arrivés au début du mois de juillet. Le camp, outre sa proximité avec Katowice, se situe à 50 kilomètres à l'ouest de Cracovie et au sud-ouest du bassin industriel et minier de cette région que les Allemands ont renommé Schlesien. Le site choisi est complètement entouré par la Wisła et la Soła. Il est également marécageux, plat et paludéen.

Pour avoir vécu pendant les dix premières années de ma vie non loin d'ici, je sais que le climat, est très rude : en été il fait très chaud et en hiver,... la température peut descendre jusqu'à moins 30 °C.

D'après ce que je sais, une zone d'environ 40 kilomètres carrés a été dégagée pour y créer une "zone de développement" réservée exclusivement au camp qui a été construit pour remplir trois objectifs, identiques aux Konzentrationslager d'Allemagne : incarcérer les ennemis réels du régime nazi en Pologne pour une durée indéfinie, disposer bien évidemment d'une main-d'oeuvre gratuite dans les entreprises et les usines de production liées à la guerre et pour finir, éliminer les petits groupes qui menacent d'après les responsables SS la sécurité de l'Allemagne nazie.

Celui qui a été choisi pour diriger le camp s'appelle Rudolf Franz Ferdinand Höß, un nazi convaincu qui obéit aveuglément aux ordres d'Himmler. Il connaît parfaitement le fonctionnement des camps allemands puisqu'il a notamment officié à Dachau et à Sachsenhausen. C'est d'ailleurs lui qui a demandé que, comme dans ces deux camps, sur la grille d'entrée soit placée la devise Arbeit macht frei.

Selon lui, ces deux expériences lui ont permis de déduire que les détenus supportent mieux leur emprisonnement quand les SS leur permettent de travailler.

Pour l'avoir connu à Sachsenhausen, je sais que ce n'est pas une bonne chose pour les prisonniers qu'il soit le responsable du camp. On dit de lui qu'il est un membre modèle de la SS et rien qu'à ce titre, je crains vraiment le pire pour l'évolution du camp et la réglementation qui sera mise en place petit à petit pour les prisonniers.

Höß dispose juste à côté du camp d'une maison de dix pièces avec en outre plusieurs salles de bain. Il y est installé avec sa famille et il y vit dans une certaine aisance au grand dam de certains soldats SS. Deux domestiques, des témoins de Jéhovah apparemment, gèrent la gestion de la maison. On dit qu'il ne mange que des plats raffinés, qu'il boit les meilleurs vins et fume les meilleurs cigares.

Comme il est passionné de chevaux, il a même des écuries privées, bien mieux aménagées que les baraques des détenus, où sont logés de superbes demi-sang.

Les sentiers de l'espérance {publié aux éditions Poussière de Lune}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant