Je suis au moins certain d'une chose : je ne rejoindrais pas la longue liste de ses amants.

J'avoue que je me sens perturbé par son intérêt soudain envers moi : ce ne sont pourtant pas les jeunes soldats de mon âge qui manquent dans le camp...Pourquoi moi ?

Je suis absorbé par mes réflexions jusqu'au moment où je parviens à la lisière de la forêt : cela doit manifestement se voir sur mon visage car deux soldats m'interpellent en riant à mon arrivée :

- Alors, on dirait qu'il ne va pas bien notre valeureux camarade. Tu as vu un fantôme ?

- Il ne devait pas passer aux services administratifs ?

- Mais bien sûr !

Celui qui vient de s'esclaffer s'approche de moi et d'un air mi-soupçonneux mi-amusé me dit :

- Aurais-tu croisé Liesel par hasard ?

Son comparse éclate de rire :

- J'en doute, il n'a pas l'air de quelqu'un qui...enfin, tu vois ce que je veux dire !

- Je crois que j'ai perdu mon pari.

- Je te l'avais bien dit pourtant !

Après s'être moqué de moi, les deux soldats regagnent leur poste de surveillance en me laissant rouge de honte : je suis maintenant convaincu qu'ils ont en fait arrangé ma brève entrevue avec la dénommée Liesel en espérant manifestement que je me précipite moi aussi dans son lit ou dans son bureau.

Au bout d'une heure de surveillance, nous échangeons nos places tandis que mes compagnons me dévisagent toujours en souriant et conversent entre eux comme si je n'existais pas :

- Il n'a peut-être pas assez d'argent pour convaincre les femmes de le rejoindre dans son lit !

- Elles ne sont pas si stupides nos belles aryennes ! Un polak juif, quelle horreur !

Ma main se crispe sur mon arme tandis que j'essaie tant bien que mal de garder le contrôle de moi-même mais les railleries des deux allemands finissent par me mettre hors de moi : je fais un pas dans leur direction quand simultanément une sirène se met en route et des hurlements se font entendre dans le camp.

Ne sachant que faire, je dévisage Goerg inquiet car c'est la première fois que je suis confronté à l'alerte pour une évasion : ce dernier me fais signe de le suivre et je suis presque soulagé de quitter les membres de mon équipe de surveillance.

Nous rejoignons au pas de course l'entrée du camp d'où semblent provenir les cris : je découvre alors que de nombreux SS sont rassemblés face au mur d'enceinte et aux barbelés qui l'entourent, leur arme pointée vers un détenu qui rampe dans la terre qui sépare les deux dispositifs de sécurité.

Stupéfait, je vois également un autre détenu qui a réussi à escalader le mur et qui est assis à son sommet : je ne comprends pas pourquoi il est toujours en vie et pourquoi il ne s'enfuie pas.

La scène me semble totalement surréaliste : je connais trop bien la cruauté et la barbarie nazie pour savoir que ces deux hommes n'ont absolument aucune chance de survivre à cette tentative d'évasion.

Un des responsables du camp s'adresse alors au prisonnier perché sur le rempart et lui annonce qu'il a 45 secondes pour décamper avant que les chiens ne soient lancés à sa poursuite : le malheureux semble hésiter un instant puis je le vois s'apprêter à sauter de l'autre côté, à l'extérieur.

Quelqu'un me fourre alors une laisse dans la main et je me retrouve avec un imposant Berger allemand qui ne demande qu'à poursuivre le détenu. Son compagnon, qui s'est finalement relevé, est exécuté sans cérémonie tandis que des dizaines d'éclats de cervelle sont projetés sur les briques derrière lui.

Les sentiers de l'espérance {publié aux éditions Poussière de Lune}Wo Geschichten leben. Entdecke jetzt