Chapitre 10

Depuis le début
                                    

Puis il y a eu ces cinq jours atroces en cellule obscure où il est impossible de s'assoir et de se coucher de toute la journée : j'ai cru devenir fou. C'est d'ailleurs le but de ces cachots si spéciaux car la torture mentale est l'une des formes de torture les plus appréciées des dirigeants du camp.

Au début j'avais crié encore et encore. Ensuite, de rage et de frustration, j'avais tapé des poings sur le mur humide de la cellule puis j'avais cessé de bouger et j'avais fixé la cloison face à moi pendant cinq jours complets tout en revoyant sans cesse les yeux et les visages de ceux à qui j'avais ôté la vie.

Lorsque Georg était venu me sortir de cet endroit horrible, tremblant, frissonnant, le regard totalement vide et inexpressif, il avait tout de suite compris que cette expérience traumatisante avait eu raison de moi.

Depuis ce jour, je ne me reconnais plus : j'obéis, comme un brave petit soldat.

La seule évocation de la cellule obscure suffit pour me faire trembler et m'empêcher de dormir : mes crises d'angoisse sont désormais presque quotidiennes et je dois faire des efforts surhumains pour ne pas crier et alerter tout le bâtiment pendant la nuit.

Si les coups de bâton et les punitions ont sensiblement diminués ces derniers jours, je ne peux en dire autant du nombre de prisonniers que j'ai été contraint d'abattre.

En prenant des mains de l'une des secrétaires le document qui décrit dans les moindres détails mes faits d'arme de la semaine je serre les poings puis je signe en trouant presque la mince feuille de papier.

- Vous n'avez pas l'air d'aller bien, vous semblez triste...

Je lève la tête vers la jeune femme à qui je viens de remettre mon document : assez grande, légèrement maquillée et les cheveux blonds impeccablement coiffés, je sais qu'elle est très appréciée des officiers du camp. Et pour cause, la moitié d'entre eux ont déjà partagé son lit à plusieurs reprises. Je l'avais d'ailleurs une fois surprise, assise sur son bureau, les bras noués autour du cou d'un des plus hauts gradés du camp. Tout le monde était au courant de ses frasques mais personne ne semblait condamner sa conduite.

Je me rends compte en la dévisageant d'un air suspect que je ne connais même pas son prénom. Comme je ne bronche pas, je ne sais même pas pourquoi je reste planté là, la secrétaire s'approche de moi et me murmure qu'elle peut remédier à mon état et me faire passer un bon moment en sa compagnie car selon elle, un soldat aussi séduisant que moi ne devrait pas rester seul.

Quand elle pose l'une de ses mains sur mon épaule je la repousse brutalement :

- Je n'ai pas besoin de vous. Laissez-moi tranquille.

Choquée, car elle n'est sans doute pas habituée à être refoulée de la sorte, elle m'adresse un regard méprisant :

- Et bien dans ce cas, partez et ne comptez surtout pas sur moi si jamais...

- Je n'ai pas l'intention de faire appel à vos services. Je ne suis pas comme tous ces officiers qui accourent dans votre chambre.

- Comment osez-vous ? Espèce de...

Je n'entends pas la fin de sa phrase car je suis déjà sorti du bâtiment : je marche d'un pas rapide pour tenter d'évacuer la colère que je ressens.

C'est déjà assez pénible pour moi de voir chaque semaine, noté froidement sur un morceau de papier, le nombre de prisonniers que j'ai dû exécuter, voilà maintenant que cette...cette...femme tente de m'approcher.

J'espère bien que ma réaction la dissuadera de renouveler sa proposition : je suis déjà un criminel, je ne veux pas en plus devenir...devenir quoi au juste ? Je ne sais même pas comment qualifier tous ces officiers qui n'ont pas hésité à passer du bon temps avec elle.

Les sentiers de l'espérance {publié aux éditions Poussière de Lune}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant