Ils nous criaient des choses en Croate. Je ne savais pas ce que ça voulait dire, je ne l'ai su que plus tard. Et j'ai encore la nausée quand j'y repense. Et puis il y avait leurs masques. Ces putains de masques. Ils les portaient quand le soleil commençait à se coucher. C'était des masques en bois, qui représentaient le visage d'un homme barbu. La bouche était grande ouverte, les yeux vides. Les cheveux étaient fait de ronces, et la barbe était sculptée dans le bois. Ils me foutaient vraiment la trouille.

La plupart du temps quand ils les portaient, ils se contentaient d'imiter nos gestes. Ils se tenaient devant nous, et si on levait la main, ils levaient la main. Si on se baissait, ils se baissaient. Mes collègues s'en amusaient. J'ai jamais trouvé ça marrant. Mais ce qui me glaçait le sang, c'était de les entendre pousser des cris d'animaux. Un soir je les ai entendu pousser des hurlements horribles alors qu'on rentrait au village.

J'ai questionné des villageois au sujet de ces gens. Un seul d'entre eux ne m'a pas envoyé bouler. Il m'a dit que ces " hippies " se faisaient appeler " Djeca od Juraj " ou " les Enfants de Georges ". Qu'ils étaient là depuis des années, mais qu'il ne les voyait que très rarement hors de la forêt. Il m'a dit qu'a chaque fois qu'ils en sortaient, ils revenaient avec de nouvelles personnes.

Du jour au lendemain, ils sont devenus plus agressifs. Ils nous jetaient des pierres, nous pourchassaient avec des bâtons, nous enfumaient en faisant brûler des pneus. C'est à ce moment là que je me suis dit qu'ils avaient un grain. Je veux dire, je les savais déjà dérangés, mais ça n'a fait que confirmer. Des écolos, qui font brûler des pneus ? Vraiment ? Plus on s'approchait du centre de la zone à raser, plus ils étaient présents. Les marques sur les arbres aussi. En fait, on était plus très loin de leur camp.

On a plusieurs fois appelé la police, leur demandant une protection rapprochée pour tous les salariés. Mais à chaque fois, la même réponse du genre " vous avez des tronçonneuses, ils ont des bâtons ". On a vite compris qu'il ne faudrait attendre aucun soutien de leur part. Alors on a décidé de se faire justice nous mêmes. Je me suis juré que si un d'eux s'approchait de trop près, je le tuerais. Ça peut paraitre extrême, mais j'étais, ou même on était dans un état de stress permanent. Le mauvais temps, la température, leurs assauts répétés, on savait jamais quand ils allaient nous tomber dessus, leurs cris atroces, les masques. Vous auriez pensé pareil que moi.

Et puis un matin, vers 10 heures je crois, on est tombé sur leur camp. Il n'y avait personne, le silence était vraiment lourd. C'était plutôt spartiate : des bâches tendues un peu partout en guise d'abris, des rondins de bois en guise de chaises et de tables, des bougies par centaines, et une sorte d'estrade en terre, sur laquelle se trouvait un autel en bois. Vers le centre, des peaux de bêtes étaient en train de sécher, étendues sur des morceaux de bois. A côté de l'autel étaient posés des centaines d'outils. Haches, ciseaux à bois, rabots, scies égoïnes, marteaux. A voir leur usure, ils avaient été utilisés des centaines de fois.

Ce qui m'a le plus marqué, c'est les arbres morts. Tout autour du camp, il y avait des dizaines d'arbres morts. De gros arbres morts. Des visages avaient été gravés dans leurs troncs. Ils étaient vraiment précis, c'était presque dérangeant. Mais le plus dérangeant c'était l'odeur qui venait des peaux de bêtes. Elles empestaient tout le camp et ses environs. Je peux la sentir rien qu'en écrivant ces mots.

J'ai entendu un hurlement et j'ai reçu un choc terrible derrière la tête. Après ça, j'ai des flashs de mes collègues qui me portent, qui crient et qui courent. Quand je me suis réveillé, ils m'ont dit que les " Enfants de Georges " nous étaient tombé dessus et nous avaient bombardé de pierres. J'étais resté inconscient pendant trois heures. On m'a emmené à l'hôpital de Velika Gorica pour vérifier si j'avais pas un traumatisme crânien. Quand je suis sorti, on a appelé notre patron.

N'ayez pas peur. [Réécriture]Where stories live. Discover now