Chapitre 49

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Cela faisait bientôt deux heures que Kyrian errait dans les rues de la ville telle une âme perdue, les yeux égarés. Et perdue, son âme l'était bel et bien.

Si une part de lui ne faisait que penser à ce qui pourrait l'attendre après ce funeste jour, l'autre se remémorait tous les évènements qui s'étaient déroulés durant cette matinée. Alors qu'il ne devrait penser qu'à une chose importante, retrouver sa soeur, une autre chose encore, que son coeur estimait plus importante, occupait tout son esprit. Cette chose, ou du moins cette personne, qui envahissait son esprit ainsi que ses souvenirs, n'était autre que la femme qu'il avait rencontré il y a un mois de cela. La femme qui cuisinait aussi bien qu'elle ne chantait. La femme qui ne savait pas ce qu'était un poulet cru et qui ne savait pas non plus faire la différence entre une passoire et une casserole. La seule et unique femme en qui il avait plus que confiance, au point de lui avoir confier son histoire et dont le simple nom suffisait à lui donner espoir, courage et volonté de vivre. Amélia. Son Amélia.

Tous les souvenirs qu'il avait vainement tenté d'oublier de ce séjour refaisaient à présent surface.

Il se rappelait que son impétueuse gardienne n'était en rien comparable aux autres femmes qu'il avait pu rencontrer un jour.

Il ne pouvait nier avoir connu des femmes bien plus belles qu'elle. Mais cela ne l'empêchait pas de penser qu'Amélia était une magnifique femme. Il n'oublierait jamais sa peau merveilleusement douce, ses cheveux dont il avait tant de fois humé l'odeur, ses longs cils qui mettaient en valeur ses petits yeux couleur noisette... Tous ces petits détails ne faisaient que renforcer cette beauté. Mais son physique n'était pas ce qu'il aimait le plus chez elle. Son apparence, c'était ce qui la rendait belle aux yeux du monde. Son caractère, sa force et tous ces autres petits détails, voilà ce qui la rendait belle à ses yeux à lui.

Elle était pleine de vie, débordante d'énergie. Elle chantait divinement faux, certes, et sa cuisine n'était guère digne d'un restaurant. Mais elle avait un tempérament de feu qui s'accordait parfaitement avec sa bonté. Son humour était unique. En un mois, il avait plus rie avec elle que durant toute sa vie. Il n'oublierait pas non plus son petit rire mélodieux qui lui donnait envie de rire à son tour. Elle possédait toutes les qualités qu'il recherchait chez une femme. Il lui avait suffit qu'il se remémore tous ces souvenirs pour comprendre qu'il était tombé éperdument amoureux d'elle. Il devait bien se l'avouer, la joie qu'il ressentait lorsqu'il était à ses côtés ainsi que la tristesse qu'il avait éprouvé en la quittant ne provenaient que d'une chose: l'amour, ce doux sentiment qu'il tentait de fuir. Elle était l'âme sœur qu'il avait tant attendu, sans trop espérer, car il pensait ne jamais la rencontrer.

Alors qu'il s'enfonçait dans une ruelle obscure, une autre partie de son esprit était occupée à se rappeler les vapeurs s'élevant d'un bain parfumé. Amélia, qui le partageait avec lui, riait à gorge déployée, offrant la colonne d'albâtre de son cou à la morsure de ses dents...

Les mains pressées sur ses oreilles pour tenter de faire taire les voix qui lui assiégeaient l'esprit, Kyrian déambulait dans les rues tout en essayant d'effacer ces souvenirs heureux.

Le destin ne pouvait se montrer plus cruel. La seule femme qui faisait battre son cœur lui était inaccessible. Il ravala sa colère en même temps que les jurons coincés dans sa gorge. Un sourire amer lui retroussa les lèvres.

Il était né sans un sou, son revenu lui permettrait de vivre, mais pas de lui acheter tout ce qu'elle méritait. Il devrait vivre toute sa vie avec le statut d'ancien dealer et d'ancien drogué et avait peur de replonger dans ces vices. Il avait vu son côté sombre et avait peur de ne jamais pouvoir le maîtriser. Toutes les personnes qui se rapprochaient de lui finissaient par souffrir affreusement. Mais par dessus tout, il avait peur d'être un mauvais mari et un mauvais père, comme le sien l'avait été. Cette peur le hantait. Il ne voulait pas qu'Amélia, la bonté incarné, aie à supporter la vie au côté d'un monstre, car c'était ce qu'il était.

Beaucoup trop d'obstacles les séparaient. Amélia méritait mieux que le peu qu'il pouvait lui offrir, même si elle prétendait le contraire.

Plusieurs fois déjà son cœur lui avait ordonné de rester avec elle. Plusieurs fois déjà il avait été tenté de le faire. Mais à chaque fois, sa raison reprenait le dessus.

Amélia disait l'aimer aujourd'hui, mais qu'en serait-il demain ? L'aimera-t-elle toujours quand elle commencerait à souffrir par sa faute ? L'aimera-t-elle toujours si jamais elle et leurs enfants se faisaient persécuter pour avoir été la femme, la fille ou le fils d'un ancien dealer ? Il ne voulait pas être présent lorsque la femme qu'il aimait souffrirait par sa faute, lorsque cet amour se transformerait en haine, car il ne s'en remettrai pas. À la perte de sa mère et de sa sœur, il avait perdu toute raison de vivre et n'espérait qu'une chose, mourir. Il avait survécu grâce à Amélia. Mais, en la perdant elle, il savait qu'il ne ferait pas qu'attendre la mort, il mourrait tout simplement. Il ne la méritait pas

Lorsqu'elle avait prononcé ces trois petits mots qu'il pensait ne jamais pouvoir entendre un jour, lorsqu'elle lui avait dit qu'elle l'aimait, tout le monde s'était écroulé autour de lui. Il avait alors fait la chose la plus dure qui lui était jamais donnée de faire: feindre l'indifférence. Il avait dit que cet amour n'était pas réciproque et que tous les évènements qui s'étaient déroulés durant ce mois n'étaient que des erreurs. Il savait que de tels mots allaient la faire souffrir, mais il savait aussi que sa souffrance se transformerait en haine. C'était d'ailleurs pour cela qu'il avait été si franc, si brutal. Il préférait de loin sa haine que sa tristesse. Il savait que si elle le détestait, elle aurait une bonne raison de passer à autre chose. Au lieu de passer son temps à se morfondre pour un amour perdu, il lui serait plus facile de tourner la page et de commencer une nouvelle vie. Ce qui ne sera jamais son cas à lui.

L'amour était paradoxal. S'il donnait la force de combattre jusqu'à la mort, ou de combattre la mort elle-même, il pouvait aussi être source de faiblesse.

Mais il devait se reprendre, et vite. Le temps lui était compté. Il avait transgressé une des règles qu'il devait obligatoirement suivre en tant que protégé. Et il n'allait pas tarder à le payer. Dans une semaine, tout au plus, il devrait subir les conséquences de ses actes. Aussi, écartant les souvenirs d'Amélia, il se focalisa sur le seul et unique objectif qu'il devait atteindre depuis sa sortie de prison: retrouver sa soeur.











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