Demain est une drôle d'idée

Depuis le début
                                    

Je sortais le sac-poubelle blanc plein de gobelets, de sachets de chips vides, de papier cadeau et d'assiettes en carton pleines de traces de taboulé, de salade et de gâteau au chocolat quand j'ai vu que les boîtes aux lettres avaient reçu leurs étiquettes. Mon nom n'était pas encore sur la mienne. J'étais toujours le seul occupant de cet immeuble. J'allais enfin pouvoir poser l'autocollant indiquant que je ne souhaite pas recevoir de publicité ni de presse gratuite. Machinalement, je l'ai ouverte, probablement pour renifler son odeur de neuf et admirer son vide lisse et mat.

Une surface brillante tapinait au fond de la boîte. Elle jetait des reflets dorés autour d'elle. Une grande vue et deux petites de Tamariu. Au dos « Very nice holiday. Sheila scored with a kraut, caught crabs. XOXOX ».

Je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai allumé mon Toshiba, cherché un peu après un numéro de téléphone. J'ai cherché pendant un quart d'heure après le site de la sûreté de l'état. Rien. Rien de rien. J'ai fini par trouver un numéro de téléphone, en appelant les renseignements, à l'ancienne.

— Bonjour, est-ce que vous envoyez des messages secrets sous forme de cartes postales à mon adresse par hasard ?

Oui, j'ai vraiment dit ça à «  Sureté de l'état, Staatsveiligheid goiemorgenbonjour ».

— Je vous passe quelqu'un.

Quelqu'un. Le service psychiatrique d'un hôpital ? Un barbouze qui me donnera rendez-vous dans une station de métro où je serai pris d'un spleen aussi soudain que définitif ?

— De Greef à l'appareil.

— Bonjour Monsieur, comme je l'ai dit à votre collègue de l'accueil, je me demande si dans mon courrier il y aurait, par le plus grand des ha—

— Des cartes postales de quel endroit, Monsieur ?

Je lui ai décrit les cartes postales, leur recto, leur verso, les tranches, le timbre, l'écriture, l'encre, la couleur de l'encre. J'ai même été prié de les renifler.

— J'envoie un coursier. On va vérifier. Ce n'est probablement rien d'important, Monsieur Quertinmont.

— Je... Je vous ai dit mon nom ?

— Non.

Seize minutes plus tard, j'entendais ma sonnette pour la première fois. Après une fausse manœuvre, je suis parvenu à ouvrir la porte de l'immeuble. Un homme athlétique grimpait les escaliers cinq à cinq.

— Monsieur Quertinmont, Paul

— Vous ne pouvez pas vous tromper, je suis seul dans cet immeuble.

— Vous n'êtes pas seul puisque je suis là.

— Oui, mais ce que je voulais dire c'est qu'habituellement je suis seul ici.

— Bien sûr. Les cartes postales, s'il vous plaît ?

Je lui ai tendu les cartes postales en les tenant par les coins, le moins possible.

— Il est possible que j'aie effacé des empreintes digitales en les manipulant.

— Ne vous inquiétez pas pour ça, monsieur. Merci d'avoir fait votre devoir citoyen. Nous ne vous tiendrons pas au courant. Belle journée.

Et cinq secondes plus tard, il était déjà deux étages plus bas. Je suis arrivé à la fenêtre qui donne sur la rue juste à temps pour voir une moto sportive sans gyrophare ni rien disparaître vers la chaussée de Louvain. D'après le bruit, elle était puissante et rapide.

Le temps a fait comme les voitures sur la chaussée de Louvain : inlassablement, il est passé. Contrairement au trafic automobile, le temps s'écoule dans un seul sens, ce qui veut dire qu'une moitié des automobilistes reculent quand ils pensent avancer. Le plus difficile est de savoir à laquelle des moitiés on appartient.

Pulling a BradburyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant