Jeunes MR, menottes et poney

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L'auteur, prudent, tient à préciser que les personnages sont sortis tout droit de mon imagination et que toute ressemblance avec une ou des personnes en chair et en os, vivantes, mortes ou zombies, avec des événements s'étant réellement produits serait fâcheusement fortuite et totalement involontaire.




Bruxelles, à un moment ou à un autre du début du 21e siècle.Michel-Thomas d'Oorschuiven d'Astableff avait dépassé de deux ans l'âge auquel on cesse statutairement d'être membre des Jeunes MR. Il continuait d'en être membre, comme si de rien n'était. Personne n'a osé aborder le sujet avec lui. Son nom de famille est gravé plusieurs fois dans le marbre du hall d'entrée au siège du parti. Au 19e siècle, les d'Oorschuiven d'Astableff ont donné plusieurs ministres à la Belgique. Une loi régissant les transports en commun, toujours en vigueur, est appelée familièrement "Loi d'Oorschuiven".


Michel-Thomas d'Oorschuiven d'Astableff n'a pas le niveau intellectuel pour parler néerlandais. Il ne doit son début de carrière politique qu'au prestige de son nom de famille. Quand il posait la pièce en cuir au coude de sa veste en tweed pour tenir un papier et prendre la parole lors des réunions des Jeunes MR, les autres participants échangeaient des regards gênés, se mordaient les lèvres pour ne pas rire ou en profitaient pour aller au petit coin. Michel-Thomas ne s'en apercevait jamais : il lisait soigneusement le texte de son intervention, imprimé sur du 120g/m2 crème acheté à la Papeterie Anglaise.


La chute du mur de Berlin et l'effondrement du communisme en Europe ont privé Michel-Thomas de la colonne vertébrale idéologique sur laquelle son père et son grand-père ont articulé leurs façons de voir le monde. Pour eux, le communisme était la seule cause de tous les maux du monde. Les SS-20 qui pouvaient s'abattre à tout instant sur leur maison de maître, les retards ferroviaires, les invasions de moustiques dans leur villa offshore tout étaient causé par le communisme.


Quand il n'assistait pas aux réunions des Jeunes MR, Michel-Thomas était chercheur en économies à l'ULB. "Non, ça ne veut pas dire comment je cherche des économies à faire dans le budget de l'ULB" répétait-il inlassablement à la terrasse du Balmoral aux blondes qu'il invitait à bruncher. De temps en temps l'une d'entre elles se retrouvait chez lui pour l'écouter jouer du Chopin sur un vieux clavecin de famille. Les autorités académiques n'ont jamais demandé à Michel-Thomas d'assurer la moindre heure de cours. Aucun remplacement même d'une heure à mettre à son actif. Michel-Thomas n'a jamais été approché par personne pour rejoindre une loge maçonnique. Au moment des événements que nous nous apprêtons à relater, Michel-Thomas faisait le désespoir de deux agences matrimoniales pourtant spécialisées.


Michel-Thomas avait fini par obtenir d'un coiffeur qu'il lui fasse la même coupe que Frédéric Chopin. Il se faisait rafraîchir la coupe toutes les six semaines, les jeudis à 17 h. Dans le coffre de sa voiture il y avait toujours de quoi participer à une partie de chasse : veste barbour et bottes aigle.

Il advint que le MR tint un congrès de participation dans le bâtiment Flagey. Michel-Thomas, venu en voisin de son appartement avec vue sur les étangs d'Ixelles n'avait pas son nom imprimé en gros caractères sur une feuille annonçant sa présence et retenant sa place aux premiers rangs. On était un peu au-delà de la date de la fête nationale. Il s'agissait d'approuver formellement la participation du parti à une majorité gouvernementale. Des invités prestigieux étaient venus rehausser de leur présence le prestige de l'événement.

Pulling a BradburyWhere stories live. Discover now