Chapitre 24 : ventre & baiser

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          Edith séchait sa vaisselle en ruminant son impuissance. Après le déjeuner, son coéquipier et elle avaient fait leur rapport au chef de mission, monsieur Fournier.

Il n'avait pas répondu à ses questions. Le traducteur qu'elle attendait pour déchiffrer ce qu'elle avait entendu n'était jamais venu. Non, on la laissait dans l'ignorance et cela l'énervait.

« Moins vous en savez, plus vous serez protégé. » lui avait assuré Fournier avec son ton condescendant.

La jeune femme claqua brusquement son torchon dans l'air en grognant. Son mal de tête s'était calmé pour faire place à des crampes tenaces au ventre.

« Petits effets secondaires, mon œil ! » ragea-t-elle en se frottant le front. « Tu m'étonnes qu'il ne faille pas prendre plus une pilule d'un par jour... »

« Tu me parles ? » lança Gustave comme s'il levait son nez d'une quelconque lecture qui l'eut empêché d'écouter Edith.

« Non, non. Je fais juste le point de la journée. » grogna-t-elle en s'affalant sur une chaise.

Il était déjà vingt et une heure et Lucien n'avait toujours pas donné signe de vie. C'était comme s'il avait senti l'orage et qu'il se planquait le temps de l'averse.

Edith se maudit intérieurement. Elle ne savait rien de lui au fond.

« Tu as l'air pas bien Edith. »

« Je sais. J'ai trop mal au ventre. » couina-t-elle avec une tête de chien battu.

« Viens sur le canapé, on peut regarder un truc ensemble si tu veux. »

« Essayons. »


          Lucien venait de sortir de son travail. La nuit le cueillit en l'enveloppant de son manteau noir. Sa voiture attendait sagement sur le parking désert. Il monta dedans et inspira un grand coup. Juliette n'était pas venue aujourd'hui. Il claqua la portière du véhicule. « Malade », lui avait-on dit. Avec un peu de chance, son rendez-vous avec son reflet serait annulé ! Ses yeux brillaient d'espoir.

Une tenue de rechange reposait sur le siège passager. Lucien avait tout prévu : il ne repasserait pas chez lui pour ne pas perdre de temps. Il voulait en finir au plus vite.

Il avait bien survécu au mari de Suzanne en partant comme un voleur ! Ce n'était pas un reflet douteux qui allait lui faire peur ! Il s'enfonça dans le déni en ignorant la terreur qui lui rongeait l'estomac. 

Une fois changé et coiffé un tant soit peu correctement, il démarra la voiture et disparut dans les ténèbres froides de la nuit.

* * * 

L'établissement était bien sinistre vu de l'extérieur. Des affiches publicitaires décrépissaient sur la façade du bar tandis qu'une odeur tenace d'urine pourrissait l'air. Des fumeurs descendaient leur clope devant l'entrée en fixant le pauvre Lucien qui attendait, planté comme un piquet, sur le trottoir quelques mètres plus loin.

Il s'avança finalement en déglutissant. Il était vingt et une heure cinquante. Les hommes, cigarettes au coin des lèvres, le toisèrent en plissant des yeux. Lucien devait être à lui seul un spectacle assez inédit. Sa chemise blanche lui donnait des airs de serveurs tandis que son visage poupin était l'incarnation même du mot « angoisse ».

Ils ricanèrent en le laissant passer. Il devait avoir une bonne raison pour oser s'aventurer jusqu'ici, le recaler aurait été sacrément dommage.

Lucien poussa la porte puante du bar. Une musique rétro lui tapa immédiatement les oreilles. Une foule suante à moitié dénudée, traversée çà et là par quelques serveurs aux plateaux garnis de shots, dansait dans tous les sens. Leurs mouvements étaient, pour certains, lourds d'invitations sexuelles.

Le Souffle de Nos RefletsWhere stories live. Discover now