Chapitre 12 : lard & bleu

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          Le téléphone d'Edith tremblait entre ses mains. L'écran, plaqué contre son oreille, vira au noir. Elle appelait son travail. La sonnerie de l'appareil brisait par saccades le silence tendu de la pièce. La table basse à ses pieds présentait une biscotte à demi croquée, nageant dans une ronde de miettes, posée sur une assiette blanche. Edith la fixait d'un œil vague.

« Bon, ils répondent ou bien ? » s'impatienta Gustave.

Edith aurait voulu lui jeter un œil noir mais, hélas, elle ne savait pas précisément où il était. Rongée par l'attente, assise au bord de son canapé, elle mordillait ses ongles. Sa mère à cheval sur le tic de sa fille aurait dit, si seulement elle avait été là, « Comme tu es grossière Edith ! T'avons-nous éduquée comme cela ? Voyons, fais un effort. »

Comme par réalisation, Edith cessa son geste nerveux, presque honteuse. Elle frotta ses mains sur ses cuisses pour effacer les traces de bave.

« Le numéro est indisponible, veuillez laisser un message après le bip sonore... » fit le téléphone.

Elle raccrocha, déçue. Seule sa biscotte compatissante lui apportait un soutien moral. La jeune femme se pencha et attrapa l'assiette. La denrée se laissa d'ailleurs manger en un rien de temps ! Voilà que déjà, Edith s'essuyait les doigts gras sur un torchon qui traînait à sa gauche.

« Bon », fit-elle. « Allons au bureau en personne ! »

« Mais pourquoi tiens-tu absolument à leur faire savoir ta décision dès maintenant ? Tu pourrais leur annoncer lundi matin », grogna son reflet d'une voix proche.

Il devait s'être adossé au mur à sa droite, près du chevet du lit. Edith soupira en regardant la position présumée de Gustave. Ses doigts s'essuyaient toujours contre le torchon de cuisine.

« Ils veulent que je leur fasse part de ma réponse le plus vite possible... »

« Ça attendra bien lundi ! Voyons, Edith, ne sois pas à leurs bottes ! On est samedi, tu es en week-end. »

« Si tu le dis... » acquiesça-t-elle en pliant mécaniquement le torchon sur ses genoux.

« Mange un vrai repas aussi, ce n'est pas une pauvre biscotte qui va te nourrir. Tu n'as rien mangé depuis hier soir. »

« Tu es vraiment une maman poule parfois Gustave », grogna Edith en sachant pertinemment qu'il avait raison.

« Allez, tu as des œufs et des tranches de lard, que dirais-tu d'un petit-déjeuner tardif ? » continua-t-il sans faire attention au commentaire d'Edith.

Elle regarda sa montre et ricana.

« À treize heures quinze ? »

« On s'en fout de l'heure ! » répliqua-t-il. « Allez, viens, je t'attends dans la cuisine. »

Un sourire étira ses lèvres. Quand Gustave était attentionné, c'était parce qu'il s'inquiétait pour elle. Il pouvait être mignon quand il le voulait.

Elle se leva, l'esprit brouillé par l'amas d'informations qu'elle avait accumulé depuis la veille.


          Des feuilles parcellaient le lino de la chambre de Lucien. Assis en tailleur, c'était à peine s'il s'occupait du désordre. Au contraire, le fourmillement d'idées venait par vagues frénétiques qui lui imposait un rythme décousu. Le vent qui s'engouffrait par sa fenêtre ouverte s'ajoutait à la danse créatrice de Lucien. La brise ne dissipait pas le nuage bleu qui restait obstinément sous son lit. Les souffles, des particules invisibles pour les gens normaux étaient le quotidien de Lucien.

Le Souffle de Nos RefletsWhere stories live. Discover now