Chapitre 34

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Chapitre 34

Ingrid

Les clients commencent à s'installer doucement à leurs tables. De la musique lounge s'élève des hauts parleurs installés de part et d'autre de la scène. Une serveuse pose son plateau sur le comptoir du bar, et débite d'une traite la commande que je dois préparer, mais je ne l'entends pas. Tétanisée par l'incompréhension, je ne parviens plus à détacher mes yeux de l'écran du téléphone. Mes mains tremblent, des larmes de colère tracent des sillons sur ma fausse moustache fraichement dessinée. Je vois rouge, et pour cause.

Au même moment, ma collègue barmaid se racle la gorge pour attirer mon attention. Je lève le menton, l'esprit ailleurs, obnubilée par ma triste découverte.

— Est-ce que je peux récupérer mon portable ? me demande-t-elle d'un ton doux-amer.

Je cligne des yeux pour reprendre mes esprits, puis lui tends son smartphone dernier cri en bafouillant des excuses.

— Est-ce que tout va bien ? s'enquiert-elle tout en préparant un expresso martini à côté de moi.

Je plaque un sourire forcé sur mon visage et hoche la tête d'un air faussement enjoué pour lui répondre.

— Rien de grave, je mens.

J'ai à peine terminé de prononcer ma phrase, que Sofia, ma collègue, est déjà partie de l'autre côté du bar pour préparer un deuxième cocktail.

— Trois mojitos pour la table vingt-quatre ! m'ordonne-t-elle en levant la voix.

Je comprends que sa question était plus par politesse qu'autre chose, et d'un côté cela m'arrange. Ainsi, je n'aurais pas besoin d'inventer une autre excuse pour justifier mon trouble. Une fine pellicule de sueur recouvre désormais ma peau sous ma chemise. Un rapide coup d'œil en direction de la mezzanine, m'apprend que Sven slalome déjà entre les tables basses du coin VIP pour apporter les boissons commandées par les clients fortunés. J'ai besoin d'aller lui parler. Tout de suite.

— Sofia, nous n'avons plus de glace ! Je vais aller en chercher dans le congélateur de la réserve, je prétexte pour m'esquiver.

La grande brune se tourne vers moi, une expression interrogatrice peinte sur les traits.

— Quoi ! Mais comment ça se fait ? La soirée n'a même pas encore commencé ! s'écrie-t-elle pour couvrir le brouhaha ambiant.

Les mains en l'air, je fais signe en haussant les épaules, que je n'ai pas la réponse à sa question. Je me découvre malgré moi des talents de menteuse, et je n'en suis pas fière. La barmaid n'insiste pas et me tourne le dos pour recommencer à secouer son shaker. Je pars sans demander mon reste en rasant les murs. La peur au ventre, j'ai la désagréable impression que Lucas est là, assis quelque part, à m'observer. À chaque pas, mon regard scanne avec affolement la salle. À force de regarder les gens, leurs visages se confondent dans mon champ de vision. Un sentiment de panique monte en moi, mon cœur s'emballe dans ma cage thoracique.

Je grimpe les escaliers deux par deux, non sans oublier de surveiller à chaque pas mes arrières. Quand j'arrive en haut des marches, les prunelles de Sven trouvent immédiatement les miennes et ne les lâchent plus. Un sourire m'échappe lorsque je le contemple donner sans ménagement son plateau à un malheureux collègue qui passait par là, les mains vides. En quelques enjambées, il me rejoint, d'une démarche déterminée.

— Sven, je...

— J'ai parlé à ton cousin, m'explique-t-il à l'oreille en m'interrompant. Tout est réglé, tu n'as pas à t'inquiéter.

De feu et de glaceWhere stories live. Discover now