De feu et de glace

Chapitre 32

Ingrid

L'appréhension me gagne à mesure que les heures défilent. Le regard rivé sur l'horloge de ma chambre, je finis de me préparer pour aller travailler à La Cage aux Folles. Aujourd'hui, nous sommes samedi. Et pas n'importe lequel, puisque ce soir, c'est la pleine lune. Après les révélations de Malique quant au don transmis de génération en génération entre les hommes de sa famille, ce dernier a accepté d'aider Sven dans sa quête. Nous nous sommes donc tous les quatre donnés rendez-vous à la fin de notre service au Skinnarviksberget, une colline rocheuse bien connue des stockholmois pour le panorama qu'elle offre sur la ville au coucher du soleil. Lorsque les beaux jours arrivent, l'endroit est très prisé, raison pour laquelle Malique a préféré que nous nous y rendions en pleine nuit.

Face au miroir, je saisis un crayon khôl de ma trousse de maquillage et me dessine une fausse moustache au-dessus des lèvres. J'esquisse un sourire en admirant mon œuvre. Depuis un peu plus de trois semaines, Sven et moi sommes officiellement employés dans le cabaret de Nils. Lui en tant que serveur au coin VIP, et moi en tant que barmaid. J'ai appris à préparer les cocktails proposés sur la carte, et Sven... à tenir un plateau sans le faire tomber. Les débuts ont été pour le moins difficiles, mais à force d'entraînement, il parvient désormais à slalomer entre les tables sans faire tomber une seule goutte. Je soupçonne même d'avoir pris goût à cette nouvelle routine.

Je contemple une dernière fois mon reflet avant de quitter la pièce. Vêtue d'un costume noir trois pièces, composé d'une chemise blanche, d'un veston et d'une cravate rose fuchsia, je suis prête à partir. Un soupir de nostalgie s'échappe malgré tout de mes lèvres. Les souvenirs de mon ancienne vie refont de temps à autre surface, comme c'est le cas à cet instant précis. Je me revois dans ma boutique adorée en train de composer des bouquets de fleurs exotiques pour quelques amoureux transis. La gorge serrée, j'attache mes cheveux sur le sommet de mon crâne pour mieux les dissimuler ensuite sous le berret que je vais devoir porter, la touche finale de mon uniforme de travail.

Sven entre au même dans la chambre. Comme chaque soir, je ne peux m'empêcher de pouffer en voyant la tenue que Nils lui a imposé. Le pauvre n'arrive pas à s'y faire, et pour cause. Le pantalon de cuir émet un grincement à chacun de ses pas. Sven grogne d'agacement à cause du son produit par le vêtement.

— On y va ? me lance-t-il, les poings sur les hanches.

Je hoche la tête en me mordant la lèvre pour étouffer mon rire. Le mouvement de ses bras vient d'agiter sans le vouloir les franges de son veston. Je ne comprends toujours pas pourquoi mon cousin a insisté pour que Sven serve les clients, déguisé en cow-boy, le torse à moitié nu. Nous avons tous les deux essayé de négocier pour que le pauvre reste habillé comme à son époque, sans succès. Nils estime que c'est plus vendeur. Et il a raison. Sven repart au bas mot avec cinquante euros de pourboires à la fin de chaque soirée. La première fois qu'un homme lui a glissé de petites coupures dans sa poche, j'ai bien cru qu'il allait chercher son épée pour embrocher le malheureux. Mais lorsque je lui ai expliqué tout ce qu'il pouvait s'offrir avec cet argent, Sven a vite changé d'attitude vis-à-vis des spectateurs aisés.

— Oui, je rétorque d'une petite voix.

Mes yeux cherchent les siens lorsque je m'approche de lui. Un sourire se dessine sur ses lèvres lorsque son pouce vient tendrement caresser ma joue. À son contact, je me sens apaisée. Ses doigts glissent avec précaution vers la fine chaînette qui descend jusqu'à l'échancrure entre mes seins. Un frisson d'excitation me parcourt. En me levant ce matin, j'ai remis mon pendentif conservé jusqu'à ce jour bien à l'abri dans un tiroir. Malique a exigé de ma part d'emmener la pierre de lune pour le rituel qu'il compte effectuer cette nuit.