De feu et de glace

Chapitre 20

Ingrid

Je quitte Sven et Odin, repue comme jamais. Il y avait bien longtemps que je n'avais pas avalé un petit-déjeuner aussi copieux, et surtout... aussi cher. Mais tant pis. On ne vit qu'une fois. Et aujourd'hui, je voulais me faire plaisir. C'est un jour particulier. Celui où j'ai décidé de revenir à moi-même. Et ça commence par les cheveux.

Je marche d'un pas décidé en direction du salon de coiffure aperçu la veille. La boule au ventre, je croise les doigts pour qu'ils acceptent de me recevoir sans rendez-vous, et surtout qu'ils soient d'accord pour réaliser la coupe que j'ai en tête.

Les poings serrés, je m'arrête devant la vitrine et observe une dernière fois mon reflet dans la glace avant d'entrer. Un demi-sourire en coin étire mes lèvres. Si Lucas savait ce que je m'apprêtais à faire, il serait en rogne. Et cette pensée suffit à me donner l'assurance nécessaire pour pousser la porte. Une coiffeuse d'une trentaine d'années à la chevelure rose gold m'accueille.

— Bonjour, auriez-vous de la place pour une coupe ainsi qu'une décoloration s'il vous plait ? je demande dans un anglais incertain. Je n'ai pas pris de rendez-vous.

— Oui, vous avez de la chance. Le lundi matin, c'est généralement plutôt calme. Je finis de coiffer monsieur là-bas et je m'occupe de vous, d'accord ? Vous pouvez vous installer dans le fauteuil devant le bac. Vous savez déjà ce que vous voulez faire ?

Mes doigts jouent nerveusement avec les poches intérieures de mon jeans. Mes yeux tombent sur l'affiche qui avait la veille attiré mon regard. Maintenant que je vois de plus près la transformation que je veux, j'ai peur de passer pour une pauvre fille qui prend ses rêves pour des réalités. Du genre à croire que parce que la mannequin sur l'image est magnifique, avoir la même chevelure qu'elle me rendra belle.

— Pourriez-vous me faire ceci ?

Le bras levé, je pointe de l'index la blonde à la crinière de rêve en face de moi. La coiffeuse se retourne pour voir à quoi je fais allusion, puis m'observe, le regard pétillant.

— Vous êtes sûre ?

J'inspire profondément, puis hoche la tête avec assurance.

*

Après six heures de pose de rajouts, de décoloration et soins en tous genres, la coiffeuse pousse le fauteuil pivotant vers elle pour admirer son œuvre. Avec fierté, elle hoche la tête, satisfaite de son travail. Impatience, je trépigne devant le miroir voilé.

Lorsque Yasmine, la coiffeuse, tire sur le rideau d'un geste théâtrale, je contemple bouche bée, mon reflet en cillant. C'est impossible. Cette femme à la crinière de rêve ne peut être moi. Du bout des doigts, je touche avec délicatesse les boucles blond platine. Je n'en reviens pas. L'illusion est parfaite.

— Alors, qu'en dites-vous ?

— C'est... je n'ai pas les mots, j'ajoute dans un chuchotement, troublée.

Yasmine vient de réussir l'exploit de me rendre mon vrai visage. Celui d'avant ma rencontre avec Lucas. Je suis à nouveau moi-même. La petite fleuriste au sourire rayonnant. Celle qui croquait la vie à pleine dents.

Yasmine sort soudain un téléphone de la poche de son tablier pour photographier le fruit de son travail. Absorbée par ma nouvelle allure, je ne réagis pas tout de suite et la laisse faire.

— C'est pour nos réseaux sociaux. J'en ai pris avant d'appliquer la décoloration. Les abonnés adorent voir les transformations extraordinaires, telle que la vôtre. Un petit sourire, et hop c'est dans la boîte.