Chapitre 22

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Ingrid

Accroupie dans le garage, je nettoie avec rage les vestiges du dernier repas de Sven sur la carrosserie du véhicule de location. Les coupures sur mes doigts me piquent la peau, mais c'est le cadet de mes soucis. Je m'en occuperais plus tard.

Satanée vitre cassée, satané dégueuli, satané viking !

Horripilée au plus haut point, je maudis Sven à voix haute, tout en passant un dernier coup d'éponge sur la tôle. Heureusement que les marins ont eu pitié de moi et m'ont donné de quoi nettoyer la portière, sinon je n'aurais pas donné cher de la peinture. Par chance, l'acidité de la bile n'a pas eu le temps de l'abîmer. Pauvre voiture. C'est un miracle, si elle est encore en un seul morceau quand nous arriveront à Stockholm.

En sueur, j'essuie du revers de la main des gouttes de transpiration qui dégringolent de mon front. Un rapide coup d'œil vers l'horloge murale m'indique qu'il ne nous reste plus que vingt minutes avant d'arriver à Rodby. Tout juste le temps d'acheter une portion de frites au snack du pont supérieur. Pas sûre de caller la faim du jarl machin chose avec ça.

Quand je me relève, mes yeux tombent sur Sven, accroupi dans un coin, la tête entre les genoux. Il me ferait presque de la peine, si ce n'était pas précisément par sa faute que nous avions failli rater le ferry. Attristée par ce spectacle, je décide malgré tout de mettre ma colère de côté pour le rejoindre.

Je me plante debout face à lui, la main tendue pour l'aider à se relever.

Sven lève le menton, la mâchoire serrée. Il est plus pâle que jamais, sous la lueur vive des néons.

— Ingrid, tes mains. Je suis tellement désolé.

Je regarde un bref instant les traînées de sang séchées sur ma peau avant de laisser retomber mes bras le long de mon corps.

— Ne t'inquiète pas pour moi, j'ai déjà vu bien pire. Je soignerais ça quand nous ferons une pause cette nuit. Est-ce que tu arrives à tenir debout ? Je voulais nous chercher quelque chose à manger. Sinon, attends-moi, ici.

— J'aimerais t'accompagner. Marcher me fera le plus grand bien.

Sven vacille quelques secondes sur ses deux pieds avant de retrouver l'équilibre. Nous dépassons quelques passagers dans les escaliers, dont il observe avec curiosité les vêtements du coin de l'œil. Un sourire se dessine sur mes lèvres devant son expression parfois ébahie. Je me demande comment je réagirais si je me retrouvais piégée à son époque. Quand nous nous arrêtons devant le snack pour faire la queue et nous acheter de quoi manger, une odeur de friture flotte dans l'air. J'en ai l'eau à la bouche. Je n'ai rien avalé depuis le petit-déjeuner, préférant économiser un peu d'argent à midi en n'achetant qu'un sandwich pour Sven.

— Je ne vais pas tarder à me mettre à baver comme Odin, s'exclame Sven pour détendre l'atmosphère.

Les mains dans les poches de mon jeans, je lève la tête pour croiser son regard. Sven me surplombe de sa hauteur. En même temps ce n'est pas bien difficile étant donné ma petite taille. Je me rends compte qu'avec sa carrure athlétique, ses longues tresses, sans compter les tatouages qui lèchent sa nuque, il ne laisse pas la gent féminine autour de nous indifférente. Des picotements se réveillent de mon bas-ventre.

— J'espère que tu vas aimer ce que je vais prendre, lui dis-je pour changer de sujet avec un ton un peu trop enjoué.

— Fais-moi rêver, petite suédoise.

— Ça s'appelle des frites. On les obtient en coupant des pommes de terre qu'on fait ensuite frire dans l'huile. Une fois qu'elles sont cuites, on les saupoudre généreusement de sel et de sauce. Tu verras, c'est encore meilleur quand on les mange avec les doigts.

De feu et de glaceWhere stories live. Discover now