Chapitre 19

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Sven

L'odeur âcre de la fumée me brûle la gorge. Les cendres du brasier tourbillonnent dans le ciel, emportées par le vent qui souffle en cette période de l'année sur Jelling. La tête haute, je déambule dans les rues de la ville. Les villageois vaquent à leurs occupations comme s'ils ne me voyaient pas. Comme si je n'étais pas là. Interloqué, je tente de m'adresser à l'un de mes hommes croisés en chemin, mais il me dépasse sans me prêter la moindre attention. La mâchoire contractée, j'accélère le pas pour rejoindre la maison du devin. Lui, saura répondre à mes questions, j'en suis certain. Mon cœur bat à tout rompre lorsque ma main cogne à tout rompre contre sa porte. Je prie intérieurement pour qu'il soit là. Avec soulagement, j'entends de l'autre côté du chambranle, ses pieds fouler le plancher. Quand il m'ouvre, ses yeux vitreux s'écarquillent de stupeur sous sa capuche. Il me voit. Quel soulagement. Sans demander mon reste, je pénètre dans son skalar et marche de long en large de la grande pièce. J'ai tellement de choses à lui raconter que je ne sais pas par où commencer.

— Sven, je te croyais perdu à tout jamais. Où étais-tu passé ? Tout le monde te cherche depuis deux nuits ! Erik...

— Je sais, je le coupe. J'étais là. Je n'ai pas réussi à le sauver...

Les derniers mots meurent dans un souffle. Les poings serrés, je m'assois à table, m'empare de la cruche posée là et me sers un verre d'ale. D'une traite, je le vide, en repensant à ce qui est arrivé à mon neveu.

— Les funérailles ?

— Elles ont été célébrées hier. Avec tous les honneurs de son rang. Il repose auprès de ton père. Dans le tumulus.

Les yeux rivés sur ma choppe, je hoche la tête d'un air satisfait, soulagé de le savoir en paix auprès de ses parents. Toutefois, mon cœur se serre en songeant à la peine que doit éprouver ma mère. La voix du devin interrompt mes ruminations.

— Sven, raconte-moi ce qu'il s'est passé au temple.

Mes doigts s'accrochent au verre comme un soldat s'agrippe à son bouclier en plein combat.

— Devin, ton rêve était exact. J'étais en Francie. Perdu dans le futur. En l'an 2018. Et maintenant, je suis de nouveau à Jelling mais je ne sais pas comment j'ai fait pour revenir.

— Par tous les dieux, s'exclame-t-il en portant la main au talisman qui pend à son cou.

Je me lève du banc pour m'approcher de lui. Nous sommes si proches que je sens son souffle caresser ma joue.

— J'ai besoin de ton aide. Tu es le seul à me voir ! Pourquoi ?

Le plancher en bois craque sous nos pieds. L'oracle tend sa main vers mon bras, et me touche. Je suis donc bien vivant. En chair et os sur mes terres. Mon visage se fend d'un grand sourire à ce constat. Je suis de retour chez moi.

— Sven, je ne sais pas. Dis-m'en plus à propos de ton périple. Comment as-tu fait pour voyager dans le temps ?

— La nuit où Erik a trépassé, j'ai touché la ...

*

J'ouvre grand les yeux, hagard, et découvre que je suis de nouveau dans le futur. Je ne comprends rien. Ma conversation avec le devin avait l'air si réelle. Le goût de la bière est encore présent dans ma bouche. Déboussolé, mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine. Je lève la tête et découvre que pendant la nuit, je me suis blottie contre la petite Suédoise. Mon bras repose sur son ventre. Ses courbes épousent à la perfection mon corps. Nous sommes pour ainsi dire imbriqués, tandis que la pierre de lune à son cou touche par inadvertance mon torse. Son collier a glissé pendant notre sommeil. Le sourcil froncé, je note dans un coin de ma tête cette coïncidence.

De feu et de glaceWhere stories live. Discover now