Chapitre 24

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Ingrid

Mes côtes me font un mal de chien à force de rire aux éclats. Depuis une heure, Sven essaie tant bien que mal de chanter en rythme avec les groupes suédois qui passent à la radio locale. Mais sans succès. C'est simple, on dirait un corbeau ivre après avoir mangé trop de fruits pourris.

— Sven, ça devrait être interdit d'être aussi mauvais.

— Merci, celle-là, je la retiens.

— De rien, c'était cadeau.

Ma bonne humeur ne me quitte plus depuis notre départ à l'aube. Le speech de Sven m'a réconforté. Ses paroles ont fait leur bonhomme de chemin dans ma tête. Il a raison. Je ne suis pas une victime, mais une battante. D'ailleurs, la preuve est là, juste sous mes yeux. Je roule le sourire aux lèvres dans la banlieue sud de Stockholm. Ça y est, je vois le bout du tunnel. J'ai réussi à fuir Lucas.

Il ne me reste plus que quinze petits kilomètres à parcourir avant d'arriver à l'agence de location de voiture. Ma liberté m'aura coûté ma voiture adorée, mon précieux magasin de fleurs et la quasi-totalité de mes économies, pourtant, je n'ai qu'une envie : sabrer le champagne pour fêter ça.

Mon rythme cardiaque s'accélère lorsque je me gare devant l'endroit où je dois rendre le véhicule. J'ai tellement hâte de découvrir l'expression de ma mère lorsqu'elle me verra sur son perron ! L'excitation est à son comble quand je récupère mon sac dans le coffre, tout comme ma crainte d'entendre le montant des réparations pour la vitre cassée. Merci Sven.

— Regarde où tu mets les pieds, je l'apostrophe d'un nouveau coup de coude dans les côtes.

Je ricane en l'observant, les yeux levés vers le sommet de l'obélisque en verre qui trône fièrement au milieu du rond-point de la place Sergel. C'est vrai qu'elle est plutôt impressionnante du haut de ses trente-sept mètres. Les toits des gratte-ciels semblent vouloir s'acoquiner avec les nuages. Sven tourne la tête de tous les côtés, stupéfait par tout ce qu'il découvre. Des cyclistes foncent à vive allure sur leurs voies réservées, n'hésitant pas à sonner pour rappeler aux malheureux piétons qu'ils ont la priorité. Il faut que je réagisse, et vite, si je ne veux pas devoir gérer une nouvelle crise d'angoisse à cause de tous ces nouveaux stimuli.

Avec naturel, ma main vient trouver la sienne. Sven entrelace ses doigts aux miens et s'y accroche fermement.

— Viens, rentre avec moi, dis-je en ouvrant la porte de l'agence.

— Et Odin ?

— Lui aussi va nous accompagner à l'intérieur. Tant pis si le loueur râle. Ma foi, avec ce que nous avons fait subir à ce pauvre véhicule, nous ne sommes plus à ça près.

— Ingrid, je veux te rembourser. Je m'en veux terriblement, insiste Sven.

— On verra ça plus tard, OK ? Là, je n'ai qu'une envie. Qu'on en finisse. Ça, et manger un bon dîner bien chaud chez ma mère. Tu n'es pas d'accord avec moi ?

Sven hoche la tête, le sourire aux lèvres. Nous pénétrons tous les trois dans les locaux, sous le regard interloqué de l'agent. Je me colle à Sven pour dissimuler du mieux que nous pouvons son épée. Pourvu que personne ne la voit.

D'un claquement de langue, j'ordonne à Odin de s'asseoir à mes pieds. Il s'exécute sans broncher. Je m'approche du comptoir et tend les papiers à l'agent qui nous accueille. Ma bonne humeur du jour en prend un coup lorsqu'il me confirme que grâce aux exactions de Sven, le chèque de ma mère sera encaissé. Quand je pense que j'avais réussi à convaincre ma bienfaitrice de l'agence de Strasbourg de ne pas faire d'empreinte sur ma carte bancaire...

De feu et de glaceDonde viven las historias. Descúbrelo ahora