Chapitre 10

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Ingrid

Le visage du géant blond se décompose à la lueur des flammes. On dirait qu'il vient de voir un fantôme... ou qu'il réalise avoir fait un bond dans le futur, pour une raison qui nous échappe totalement.

Un tas d'émotions contradictoires m'assaillent. De l'inquiétude, de la peur et surtout de l'incompréhension. Maintenant que je suis ici avec ce parfait inconnu qui a essayé de me couper la tête, je me demande quelle mouche m'a piqué quand j'ai voulu suivre cette maudite lumière. Je ne pouvais pas simplement marcher jusqu'à Wisches et me cacher en attendant le premier train du matin ? Non, il fallait que je fasse ma curieuse et grimpe jusqu'au sommet pour voir ce qu'il s'y tramait ! Grand bien m'en fasse ! Voilà que je passe la nuit en compagnie d'un viking tout droit sorti d'un catalogue de lingerie masculine.

Alors que Sven est perdu dans la contemplation des flammes, j'en profite pour le détailler de l'autre côté du brasier. C'est vrai qu'il a le physique des hommes du Nord. Grand, une mâchoire carrée, des pommettes saillantes, des yeux bien clairs et de magnifiques tresses blondes. On dirait vraiment un viking. Sa chemise en lin blanc, tâchée de sang, épouse parfaitement le contour de ses biceps saillants. En guise de ceinture, une fine cordelette retient son pantalon, contre lequel pend son épée tandis que ses cheveux attachés descendent jusqu'à ses épaules. Même s'il sent le cheval, la subtile odeur de savon qui se dégage de sa peau propre, m'indique qu'il s'est lavé récemment. Je ne savais pas que c'était le genre d'hommes à prendre soin d'eux. À moins que ça ne soit son statut de jarl qui le différencie des autres ?

L'estomac retourné, je songe à la suite des évènements en me demandant comment fuir désormais. J'aurais dû le faire avant qu'il ouvre les yeux. Maintenant, c'est plus compliqué. Soit, Sven est schizophrène et s'est bel et bien enfui de sa chambre d'hôpital. Auquel cas, il risque de me tuer en plein milieu de mon sommeil ou me suivre si j'essaie de m'en aller. Soit, je n'ai pas halluciné lorsque j'ai vu cet éclair qui l'a déposé ici, et il s'est bien produit quelque chose que ni lui ni moi n'arrivons à trouver d'explication rationnelle. S'il vient bien du passé, je ne peux décemment pas le laisser tout seul au beau milieu de la forêt, perdu comme il est.

Cette nuit, en pleine forêt, les changements notables entre son époque et la mienne ne peuvent pas encore lui sauter aux yeux, mais comment va-t-il réagir lorsque demain matin nous allons nous mettre en route ? Le choc va être dur à encaisser, c'est le moins qu'on puisse dire.

Soudain, je réalise à quel point ma réflexion ne tient pas la route. Pourquoi marcherait-il avec moi ? Ce n'est pas comme si j'allais faire un détour par le Danemark avant d'aller à Stockholm... À moins que ? La détresse de Sven, la perte de son jeune neveu, et son désarroi face à ce voyage temporel me déstabilisent au point de perdre mon objectif de vue : m'enfuir le plus loin possible de Lucas.

Irritée contre ma fâcheuse tendance à vouloir sauver tout le monde, je me mords les joues. Je dois me rendre en Suède et non faire un crochet dans le pays voisin pour un parfait inconnu qui voulait me trancher la gorge il y a dix minutes à peine ! Qui plus est, à quoi cela servirait-il ? Le temple de Jelling ne doit plus exister depuis des siècles. Au mieux, ses vestiges servent à présent de musée, visité par les étudiants et les touristes estivaux. Alors pourquoi suis-je en train d'y réfléchir ? Parce que j'ai de la peine pour cet inconnu sorti de nulle part en train de réaliser que sa vie n'existe plus. Ni son titre ni ses terres, ni sa famille ni les gens qu'il aime.

— Tu fuis qui ? me questionne Sven, sans détour.

— Un homme avec qui je suis depuis deux ans, même si nous ne sommes pas mariés. Il me traite mal. Cette nuit, j'ai décidé de partir, quitter la Francie et retourner en Suède. Ma mère habite là-bas.

De feu et de glaceDonde viven las historias. Descúbrelo ahora