Chapitre 20 - Partie 3/3

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[TW / Avertissement de contenu : les chapitres 20 et 21 peuvent être assez éprouvants, avec une montée en tension angoissante.]

Axel s'exécute, libérant le passage en même temps qu'un courant d'air glacé aux relents de moisissure. Justine frissonne et resserre son écharpe autour de son cou, puis s'engage dans l'escalier sans attendre pour ne pas laisser à la peur l'occasion de prendre le dessus. Il grince et réveille le cauchemar qu'elle a fait quelques nuits plus tôt. Même si les traits du garçon qui lui tenait la main se sont effacés à son réveil, elle sait qu'il s'agissait de Sándor.

Les néons n'ont pas tous résisté aux années, mais le long couloir est encore suffisamment éclairé pour qu'elle le voie dans son ensemble. Elle s'arrête sur la dernière marche et se retourne pour s'assurer qu'elle n'est pas seule ; derrière elle, le docteur Lefort lui adresse un sourire qui se veut sans doute encourageant tandis qu'Axel ferme la marche avec un air inquiet. Enfin, elle pose un pied sur le béton irrégulier, avance lentement. Le couloir lui semble plus étroit, plus bas de plafond. Elle n'est plus la petite fille fluette qu'elle a été. En tendant les bras... oui, elle peut toucher les deux parois. Ici, aucun tag, sans doute aucune présence depuis l'intervention de la SPC. Le lieu était souvent humide, mais elle ne croit pas que l'odeur était aussi forte ; au fil du temps, de l'eau a dû s'infiltrer à travers les murs.

D'un pas mécanique, elle avance jusqu'à l'une des nombreuses portes entrouvertes qu'elle pousse sans hésiter. Sa cellule. Elle aussi lui paraît plus petite et pourtant toujours aussi effrayante. Elle doute un moment, imagine la porte qui se referme derrière elle et l'emprisonne à jamais. Repense à tous ces mauvais rêves qui débutent là. Elle est là pour cela : aller au bout du cauchemar. Sans un regard pour les adultes qui l'accompagnent, elle avance jusqu'au centre de la pièce.

Dans le coin au fond à gauche, son lit, seul meuble, n'a pas bougé. Le matelas et la couverture ont moisi et elle se surprend à sourire en observant les vestiges de son passé ; personne n'a entretenu sa cellule en attendant son retour. Elle ne reviendra jamais ici, pas captive en tout cas.

« Je détestais cette pièce, comme toutes les autres. J'avais tellement peur du noir. Et pourtant, ici, c'était le seul endroit où j'avais un peu de liberté. »

Elle n'a jamais cessé d'y croire. Jamais cessé de penser que la police viendrait la libérer. Elle n'a jamais cessé d'espérer. Jamais cessé d'espérer...

Qu'on la ramènerait chez ses parents.

Ses parents qui, un soir peut-être, tandis qu'elle prononçait leurs prénoms pour ne pas les oublier, se tuaient dans un accident de voiture.

Soudain, elle n'en peut plus, elle n'en peut plus de ce lieu, de cette atmosphère si difficile à respirer, de ses espoirs brisés. De sa vie volée. Elle bouscule Axel pour sortir.

« J'ai besoin de prendre l'air.

– Justine...

– Cinq minutes, laissez-moi cinq minutes. »

Elle remonte les marches, la vue troublée par les larmes, retraverse la cantine, le pouls trop rapide, rejoint l'entrée et quitte ce monde poussiéreux. L'air extérieur est presque glacial alors que le soleil se couche, plongeant les environs dans la pénombre. La façade du bâtiment est éclairée par de puissants spots et Justine s'autorise quelques pas le long du mur. Elle a envie de hurler, hurler pour ses années perdues, hurler pour ses parents à qui elle n'a jamais pu dire adieu. Elle s'éloigne de la bâtisse, un peu puis encore plus, marche pour ne pas tomber, pour ne pas s'abandonner tout entière à sa détresse. Elle s'écroule à genoux, pourtant, en atteignant l'orée de la forêt.

La douleur ronge son ventre. Elle ne veut pas rester ici plus longtemps. Elle veut partir. Elle se retourne et sursaute en apercevant quelque chose quitter la zone éclairée et disparaître à l'arrière du bâtiment ; un animal ? Cela lui a paru grand... mais pas assez large pour être une biche ou un cerf. Axel ou le docteur Lefort ?

Elle a besoin de rester rationnelle ; il ne peut pas y avoir quelqu'un d'autre ici, c'était forcément son tuteur ou son psy. Pourtant, elle s'interroge : pourquoi seraient-ils sortis du bâtiment ? Pour la chercher ? Alors pourquoi ne l'ont-ils pas appelée ?

Quelque chose, là-bas, quelque chose bouge dans la clairière. Le ciel chargé de nuages ne laisse passer presque aucune lueur et elle n'arrive pas à distinguer clairement la forme, mais cela lui rappelle beaucoup trop une silhouette humaine... L'inconnue qui l'épiait au lycée, devant le cabinet de son psy et jusque chez elle ? Elle les aurait suivis jusqu'ici ? L'adolescente se redresse à moitié, évalue la distance sur laquelle elle devrait courir pour rejoindre l'entrée du bâtiment. Non, c'est trop hasardeux, si l'inconnue est vraiment dans la clairière, Justine n'est pas assez sportive pour prendre ce risque. Il vaut mieux qu'elle recule entre les arbres, juste assez pour se cacher de sa vue en attendant qu'Axel s'inquiète suffisamment pour sortir.

Une fois à l'abri derrière un tronc, elle cherche à nouveau la forme mouvante. Mais elle a disparu.

JustineWhere stories live. Discover now