Chapitre 3

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C'est en bâillant que Justine pousse la porte de la cuisine. Axel l'accueille avec entrain et lui propose de lui préparer un chocolat chaud, sucré au miel comme elle l'aime, et du pain grillé. L'adolescente sort les pots de confiture tandis que son tuteur jongle entre les bols et les tartines. Elle s'assied et s'étire, observant machinalement son tuteur. Ses boucles sombres, indisciplinées, lui couvrent la nuque. Depuis quand n'est-il pas allé chez le coiffeur ? Elle ne sait pas si elle le préfère ainsi, ou bien les cheveux courts comme autrefois. Son pyjama ample ne laisse rien deviner de sa musculature forgée par les arts martiaux, et ses lunettes font ressortir son côté sage.

Il pose la tasse de chocolat devant elle puis s'assied et attrape le pot de confiture d'abricot. Elle croise son regard brun et un sourire lui échappe.

« Qu'est-ce que tu vas faire, aujourd'hui ? demande-t-elle.

– J'ai rendez-vous au QG ce matin, et je déjeune avec Claire ce midi. »

Justine hoche la tête. Le QG, c'est comme ça qu'Axel appelle les locaux de la SPC, ou Société de Protection des Citoyens. C'est son beau-père, Robert, qui l'a fondée : il a quitté l'armée à la mort de son père et a investi la fortune familiale dans cette entreprise qui, sous couvert de vendre du matériel de vidéosurveillance et de former des gardes du corps, est en fait une sorte de milice secrète, enquêtant et intervenant sur des affaires inconnues du grand public.

« Au départ, nous agissions dans l'ombre, lui avait un jour expliqué Robert. Nous étions plus proches de détectives privés que de ce que nous sommes aujourd'hui. Mais quand nous avons résolu une enquête sur laquelle la police stagnait depuis des mois, le gouvernement s'est intéressé à nous et nous avons dû trouver un terrain d'entente. Nous avons pu augmenter nos moyens techniques, c'est-à-dire nous armer et avoir accès à certaines bases de données ; en échange de cela, toutes nos actions doivent être approuvées. Je reste cependant le seul à décider sur quelles affaires nous enquêtons et jamais on n'a remis en cause un de mes choix. »

L'une de ces affaires, Justine en a fait partie ; à l'époque, les disparitions d'enfants à travers tout le pays augmentaient, mais de façon trop disparate pour que quiconque y voie un lien. Robert s'était penché dessus. Il avait mis toutes ses équipes au travail sur ce sujet pendant de longs mois, tandis que ses amis dans la police restaient persuadés qu'il faisait fausse route.

Justine doit la vie à Robert et à la SPC. Mais ce n'est pas le planning d'Axel là-bas qui intéresse l'adolescente ce matin.

« Claire, tu l'aimes bien, hein ? »

Axel lève les yeux au ciel.

« Tu ne vas pas recommencer. C'est une amie, c'est tout. »

Justine hausse les épaules. C'est sans doute à cause d'elle qu'il n'ose pas se mettre en couple. Parfois, elle se demande si elle n'est pas un obstacle à son bonheur.


Axel la dépose devant le lycée un quart d'heure avant le premier cours. Justine sait qu'il ne partira pas tant qu'elle ne sera pas de l'autre côté de la grille, et cette simple pensée la rassure.

Bien malgré elle, elle remarque Vincent dans la cour, en pleine discussion avec deux autres garçons. Elle monte au deuxième étage pour patienter devant leur salle de classe et ferme les yeux pour savourer sa musique. Heureusement qu'Axel a retrouvé son vieux lecteur MP3, car elle a eu la mauvaise surprise de découvrir son téléphone en plusieurs morceaux dans son sac, hier soir. Un dommage collatéral de sa perte de contrôle dans le bureau du docteur Lefort...

La sonnerie vient la déranger, et les couloirs s'emplissent vite du bruit de discussions innombrables. Elle salue le plus aimablement possible le professeur de maths lorsqu'il arrive, puis elle se glisse dans la salle dès qu'il déverrouille la porte. Elle s'installe à sa place habituelle — près de la fenêtre pour voir le ciel, dernier rang pour n'avoir personne dans son dos — et sort ses affaires en silence. Son corps se tend lorsque quelqu'un s'assied sur la chaise juste à côté.

JustineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant