Chapitre 9 - Partie 2/4

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Justine ignore combien de temps s'est écoulé lorsque Vincent s'arrête pour aller se désaltérer. Ils se rendent dans la cuisine au sol jonché de chips et de gâteaux apéritifs. Vincent sort deux canettes de bière du réfrigérateur ; Justine refuse poliment, préférant se servir un jus de fruits dont une bouteille ouverte trône sur la table au milieu des gobelets en plastique. Elle n'en avale néanmoins qu'une gorgée avant de reposer son verre.

« Il y a de l'alcool là-dedans ? s'étonne-t-elle.

– Tu veux de l'eau ? Je pense qu'il y a qu'au robinet que t'es sûre d'avoir du sans alcool, ce soir. »

Serviable, il lui en fait couler un verre que Justine boit d'une traite. Elle profite de la trêve pour sortir son téléphone qu'elle a senti vibrer pendant qu'elle dansait. Six appels en absence, deux messages sur son répondeur, un SMS : Rentre vite, tu n'as pas pris ton traitement.

Son rythme cardiaque s'accélère alors qu'elle constate qu'il est presque vingt heures ; bientôt une heure de retard.

« Tu peux me raccompagner chez moi ? demande-t-elle à Vincent.

– Déjà ? Tu plaisantes !

– Non. J'ai oublié un truc important...

– Et ça peut pas attendre encore un peu ? »

Elle lit la déception sur le visage du garçon. C'est vrai qu'elle passe un bon moment. Et si tout va bien, Justine a encore deux ou trois heures devant elle avant de ressentir les premiers symptômes. Elle aura toujours le temps d'aviser à ce moment-là...

« Allez, Justine... »

Vincent tend la main pour saisir la sienne, mais il suspend son geste alors qu'elle recule brusquement. Il ne voit pas le gobelet qui traverse la pièce dans son dos, et la musique est assez forte pour couvrir le choc contre le mur.

« Ne me touche pas ! demande-t-elle abruptement.

– Excuse-moi, Justine. Je voulais pas te mettre mal à l'aise... »

Elle ferme les yeux un instant pour se calmer. Inspire lentement pour apaiser son rythme cardiaque.

« C'est à moi de m'excuser. Ne le prends pas mal, j'ai juste des difficultés avec les... contacts physiques.

– J'avais remarqué, et je fais de mon mieux pour pas t'en imposer. Je t'avoue que ça m'a fait bizarre, tout à l'heure, quand tu m'as attrapé le poignet. »

Justine ne répond pas : un garçon vient d'entrer dans la pièce et elle réalise qu'elle le connaît. Elle ne garde pas un bon souvenir de cette fois où, parce qu'elle l'avait bousculé accidentellement au collège, il l'avait insultée et poussée contre le mur. Elle avait failli perdre le contrôle de ses pouvoirs et avait dû se réfugier dans les toilettes pour se calmer. Depuis, elle a fait de son mieux pour l'éviter... L'air de rien, elle se rapproche de Vincent, qui s'est retourné pour voir ce qu'elle fixait ainsi.

« Nan, mec ! lance le nouveau venu en frappant son poing contre celui de Vincent. Me dis pas que tu sors avec cette dingo !

– Ta gueule, Baptiste, parle pas de ma pote comme ça.

– C'est vrai que t'étais pas dans notre collège, t'as peut-être pas encore vu comment elle est bizarre. »

Justine croise les bras de toutes ses forces, se concentrant sur sa respiration. Rester calme. Ne pas paniquer.

« Moi j'ai fait l'effort de la connaître, au moins, et je peux te dire que Justine est une fille cool, alors l'emmerde pas.

– Hé, je dis ça pour ta réputation, moi. Mais bon, OK, je vais faire un effort. Tu bois un coup avec nous, Juju ? »

Justine ne se sent pas bien, intimidée par ce type. Elle respire lentement. Inspire. Expire. Si elle laisse la peur prendre le dessus, elle risque de perdre le contrôle.

« Je m'appelle Justine, dit-elle tout bas.

– Et alors, tu bois un coup ?

– Non, merci, répond-elle. J'allais partir.

– Ben quoi, Juju, ma fête te plaît pas ? Pas assez de mecs à ton goût ? À moins que tu kiffes plus les meufs ? Hein, Juju, t'aurais préféré t'appeler Justin ?

– Fous-lui la paix, s'énerve Vincent en se dressant devant Baptiste.

– Oh, si on peut plus rigoler ! Je m'excuse, Juju. Tu veux boire quoi ? »

Baptiste se retourne pour ouvrir le frigo et Vincent en profite pour conseiller à Justine d'accepter.

« Quelque chose sans alcool, s'il te plaît, répond-elle finalement.

– Vas-y, tu t'es cru à la boum de ma petite sœur ou quoi ? T'as même pas de coca sans whisky ici.

– C'est pas un verre qui va te faire du mal, la rassure Vincent. Prends-ça comme une nouvelle expérience. De toute façon, tu vas déjà te faire engueuler parce que t'étais pas censée venir, alors profites-en, éclate-toi ! »

Baptiste lui tend un whisky-coca. Respirer. Garder le contrôle. S'amuser. Un verre. Un seul. Pourquoi pas ?


Baptiste les lâche finalement avec un sourire satisfait et Vincent convainc Justine de rester encore un moment. Il lui promet qu'il la raccompagnera et, parce que la jeune fille ne veut ni gâcher son enthousiasme, ni demander à Axel de venir la chercher, elle accepte.

Son ami repart danser et elle garde son verre presque vide à la main comme une excuse pour ne pas y retourner. Elle tente d'oublier le comportement de Baptiste ; il y aura toujours des gens pour lui rappeler, même inconsciemment, qu'elle ne fait pas partie de leur monde.

Son téléphone vibre à nouveau et elle hésite à répondre pour rassurer Axel, mais elle n'a pas envie d'entendre ses reproches. Encore une heure et elle rentrera, prendra son traitement et descendra dans sa chambre pour éviter qu'ils se disputent.

Mais voilà qu'elle frissonne tout à coup, malgré la chaleur de la pièce. Un frisson bref qui ne trompe pourtant pas l'adolescente. Elle tend discrètement un bras et ne peut que constater qu'il tremble. Non. Pas déjà ! Mais elle sait qu'elle doit rentrer. Tout de suite.

Son rythme cardiaque s'accélère tandis que la panique la gagne ; elle tente de faire signe à Vincent, mais il ne la voit pas et elle ne peut pas perdre du temps au milieu des danseurs ; les frissons se rapprochent et son angoisse monte à chaque seconde qui passe. Elle récupère son sac et son manteau et se précipite à l'extérieur. Un autre frisson, plus marqué cette fois, lui annonce qu'elle n'est pas loin de perdre tout contrôle. Elle court, essayant d'ignorer le sang qui bat dans ses tempes, réalisant qu'elle ne pourra jamais atteindre la maison assez vite — la crise arrive bien trop tôt. Elle bifurque vers le parc tout proche.

Fermée. La grille est fermée.

JustineWhere stories live. Discover now