Justine

Chapitre 1

Le lycée est un combat quotidien pour Justine et il n'y a que par la musique qu'elle réussit à s'évader. Le casque qu'elle met sur ses oreilles à chaque pause, pendant chaque heure libre, est son armure. Une fois de plus, après les piques assassines de son prof de maths, la batterie qui fait vibrer les tympans de l'adolescente est le meilleur remède au stress de cette journée interminable. Avalé par Nirvana, le bruit de la salle de perm' ne l'atteint plus et les trois vipères qui discutent en lui lançant des regards en coin, à l'autre bout de la pièce, ne sont plus une menace.

Le garçon qui s'avance avec un grand sourire, par contre, en est une nouvelle : depuis deux jours, il essaie de lui parler, et jusque-là elle avait réussi à l'éviter. Là, coincée au fond de la salle, elle ne peut que le regarder s'approcher et respirer lentement pour calmer son rythme cardiaque. Il s'assied face à elle et ses lèvres remuent, mais ses mots sont étouffés par ceux de Kurt Cobain. À regret, Justine coupe sa musique et retire ses écouteurs.

« Qu'est-ce que tu me veux ? demande-t-elle de but en blanc.

- T'as rien entendu de ce que je te disais, hein ? »

Justine hausse les épaules. S'il pouvait sentir son indifférence et la laisser seule dans son coin, ça l'arrangerait.

« J'aurais besoin d'aide en physique, continue-t-il néanmoins. J'ai du mal, et vu que t'es la meilleure de la classe... Tu veux bien me donner un coup de main ? »

Étonnée par cette demande, Justine hésite, mais sans excuse potable pour refuser, elle finit par hocher la tête.

« Sors ton cours et dis-moi ce que tu n'as pas compris. »

Alors que son camarade s'exécute, Justine remarque que les vipères ont arrêté de rire et, même si elles continuent de la regarder plus ou moins discrètement, la présence de quelqu'un d'autre à ses côtés bouleverse leur attitude. Elles ne s'y attendaient pas plus que Justine. Bien sûr, l'adolescente est consciente que cela ne durera pas, mais tout répit est bon à prendre.

La sonnerie stridente de l'interclasse retentit. Dans cinq minutes exactement, c'est le cours d'anglais, le dernier de cette longue journée. Le professeur ne tolérant aucun retard, Justine récupère son sac, resté fermé sur la table, le jette nonchalamment sur son épaule, et se dirige vers la sortie de la salle.

« Justine, attends ! »

L'adolescente lève les yeux au ciel. Que lui veut-il, encore ?

« Tu m'as pas laissé le temps de te dire merci. Et moi c'est Vincent, au fait.

- Je sais, on est dans la même classe depuis deux mois.

- Ouais, deux mois, et t'avais encore adressé la parole à personne, j'ai l'impression.

- Ou bien personne n'a cherché à me parler.

- Il était temps que ça change, tu crois pas ? »

Une fois de plus, Justine se contente de hausser les épaules. La solitude, ça évite bien des problèmes, quand on est comme elle.

À la sortie du lycée, elle observe les environs avec inquiétude ; elle ne se sent plus vraiment en sécurité depuis que, trois semaines auparavant, une inconnue l'a interpelée. La femme connaissait son prénom et cela avait suffi pour effrayer l'adolescente, qui s'était précipitée vers le parking des bus, montant dans le premier sans se soucier de sa destination. Tout plutôt que de paniquer en public. Tout plutôt que de risquer de retourner là-bas. En rentrant chez elle, bien sûr, elle en avait parlé à Axel, mais elle avait été complètement incapable de décrire l'inconnue à son tuteur. La reconnaîtrait-elle si elle croisait encore sa route ? Dans les jours qui ont suivi, Axel ne l'a pas laissée faire un trajet seule, jusqu'à ce qu'elle le convainque qu'il y avait forcément une autre explication. Laquelle, elle la cherche encore quand Vincent la rejoint en courant.