Chapitre 8

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Les trois derniers jours étaient passés en un clin d'œil.

Après le soir de son arrivée, le roi ne lui avait plus prêté aucune attention et avait passé le plus clair de son temps en compagnie de son père et des membres du conseil. Kayla en éprouvait un bref soulagement bien qu'elle ait été totalement consciente que cela ne changeait en rien sa situation.

La preuve en était, elle s'apprêtait à monter dans le somptueux palanquin tiré par quatre chevaux qui l'attendait en bas des marches. Dans quelques instants, le roi et son père arriveraient accompagnés de leurs conseillers et bras droits respectifs.

Kayla observa la foule qui commençait à investir l'esplanade. Les membres de la cour d'un côté, les petites gens de l'autre. Aucun d'entre eux n'était réellement là pour elle, elle en avait conscience, mais cela ne l'empêcha pas d'aller à leur rencontre pour les saluer une dernière fois. Étrangement, elle sentait que tous ces visages familiers allaient lui manquer. Pendant combien de temps parleraient-ils de son départ avant de retourner à leurs préoccupations habituelles ?

Elle se força à chasser cette pensée négative et s'approcha d'un petit groupe de domestiques composé de Shoele, Nina, Nenka et de quelques autres femmes qu'elle côtoyait au quotidien. Sa vieille gouvernante lui prit les mains et les serra fort. C'était là la plus grande marque d'affection qu'elles purent se permettre en public, mais cela lui suffit.

La veille, elle avait eu l'occasion de faire de rapides adieux à son foyer. Après le déjeuner, la jeune femme était descendue au dispensaire où elle aimait se rendre pour prendre soin de ceux qui n'avaient pas les moyens de payer les services d'un médecin. L'endroit était rempli de souvenirs. Certains heureux, d'autres moins. Entre ces murs, elle avait assisté à de nombreuses souffrances, à des morts parfois, mais aussi au bonheur indicible de voir un nouveau-né pousser son premier cri. Kayla était fière de pouvoir dire que ce refuge était sa création et qu'elle l'aurait bâti de ses propres mains s'il l'avait fallu.

Kayla avait ensuite fait le tour de ses proches. Elle avait pleuré dans les bras de Nina, écouté attentivement les recommandations mondaines d'Edana et promit de lui écrire le plus souvent possible. À sa plus grande surprise, Joash s'était autorisé à la prendre par les épaules. Azar, égal à lui-même, l'avait assommée de recommandations protocolaires avant de la serrer dans ses bras à l'en étouffer. Et enfin, elle avait rigolé à en pleurer avec Erryn, après que cette dernière se soit platement excusée pour son manque de présence des derniers jours. Les deux jeunes femmes s'étaient quittées très tard dans la nuit, non sans s'être promises de tout faire pour se revoir le plus vite possible.

« Tout va bien se passer, murmura Nina entre deux reniflements - ce qui ressemblait plus à une tentative de se rassurer elle-même qu'à une affirmation.

- Tout ira bien, je sais prendre soin de moi-même. Et puis, j'ai des années d'entraînement intensif à mon actif. La cour du roi ne doit pas être très différente de celle de mon père ».

Nina échoua à dissimuler une grimace peu convaincue. Puis, plus vite qu'elle ne l'aurait souhaité, la foule se tut, annonçant l'arrivée des souverains. Kayla dégagea ses mains de celles de sa plus vieille amie et, à regret, se détourna pour reprendre sa place initiale près du palanquin flanqué d'une douzaine de gardes.

Une goutte de sueur lui dévala le long de la colonne vertébrale, la faisant frissonner. Du regard, elle sonda une dernière fois la foule tandis que Joash, dans son rôle de Capitaine de la Garde, s'avançait pour l'aider à monter dans le véhicule. Elle aperçut Edana qui lui offrit un sourire radieux et à ses côtés, Azar qui lui adressa un hochement de tête solennel.

Une fois qu'elle fût assise parmi les couvertures soyeuses et les coussins multicolores, le capitaine recula de quelques pas, se positionnant au bout de la ligne que formaient ses hommes, les dos droits, les regards fixes et la main posée sur le pommeau de leurs épées. Son père s'approcha à son tour et lui dit quelque chose qu'elle entendit à peine, le sang qui battait dans ses oreilles étouffant le son de sa voix. Par-dessus son épaule, elle chercha discrètement à apercevoir une dernière fois Erryn parmi le groupe de femmes encapuchonnées, diplomatiquement positionnées entre la noblesse et le peuple. Elle n'eut le temps de ne rencontrer que le regard de marbre de la Grande Prêtresse avant que l'on ne défasse l'embrasse des rideaux et que les lourds pans de tissus ne retombe devant elle, la dissimulant aux regards et la coupant du monde.

*
* *

Il lui semblait qu'elle était partie depuis une éternité. En réalité il ne s'était écoulé qu'une demi-journée sur les dix que durerait le voyage. Kayla espérait ne pas mourir d'ennui d'ici là... La jeune femme était habituée à la solitude, mais là, son isolement battait des records. On ne lui avait adressé aucune parole depuis leur départ, cinq heures plus tôt. Elle n'avait pas non plus aperçut le moindre visage, les lourds rideaux du palanquin ne laissant filtrer que peu de lumière. Elle y voyait à peine assez pour lire les livres qu'elle avait trouvé dans un coffre à l'autre extrémité de la cabine.

Un gargouillement se fit entendre et Kayla plaqua vivement ses mains sur son ventre, honteuse, même si personne n'aurait pu entendre le cri de famine de son estomac affamé. Elle n'avait pas encore trouvé le courage d'écarter les pans de la tenture et de demander une collation.

Ils n'allaient pas la laisser mourir de faim pendant le trajet, si ?

Elle était encore en train de débattre intérieurement afin de savoir si elle devait réclamer à manger ou attendre, quand un coin du rideau s'ouvrit brusquement dans son dos, la faisant sursauter.

L'intrus se hissa à ses côtés en s'agrippant agilement aux couvertures dans un amas de cuir et de foulards.

Avant que Kayla n'ait eu le temps de rassembler ses esprits et d'appeler à l'aide, le clandestin lui fit signe de se taire. Elle hésita.

« C'est moi ! chuchota l'intrus, ou plutôt l'intruse, en cherchant à tâtons comment défaire le foulard qui lui dissimulait le visage, ne laissant apparaître que ses saisissants yeux verts.

- Erryn ? » s'exclama-t-elle stupéfaite.

Dans l'ombre des flammesWhere stories live. Discover now