Chapitre 1

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Cinq heures sonnèrent et Kayla sursauta brutalement, sortant de sa rêverie en jurant. Elle avait réussi à se mettre en retard. Maintenant il faudrait un miracle pour qu'on l'accepte dans la salle du Conseil, même pour l'audience publique.

Autrefois sa place y était acquise, les décisions de sa mère – Léonora "La Lionne" de Tibesti – n'étaient jamais discutées et elle l'avait désignée pour lui succéder. Seulement, après sa disparition, les Intendants de la Cité s'étaient doucement, mais sûrement, employés à la mettre à la porte du Conseil et personne ne s'y était opposé, pas même son père. Les Intendants n'étaient qu'une bande de vils misogynes, grinçant des dents à l'idée qu'une femme ait plus de pouvoirs qu'eux. Et là était la source de sa position de faiblesse, lui avait expliqué Azar au cours d'une de leurs rares disputes. Phénomène extrêmement rare et pourtant... elle n'avait littéralement aucun pouvoir.

Du fait de son sang et de son rang, la jeune femme aurait dû être dotée d'un grand pouvoir, comme ses parents, comme ses amis issus de nobles familles. Leur lignée avait toujours compté parmi les plus puissantes. Un grand nombre de ses ancêtres étaient célèbres pour leurs exploits durant les guerres de l'Âge d'Or. Sa mère elle-même avait été crainte et respectée parmi tous les royaumes. De plus, Tibesti était l'une des plus anciennes Cités, si ce n'est LA plus ancienne. Tibesti l'Imprenable, Tibesti l'Insoumise. Des cinq Cités d'Aeda elle était la seule à avoir résisté quand un Seigneur s'était autoproclamé Roi et avait tenté de les assujettir.

Plus d'un demi-siècle plutôt Allarick, le Seigneur de Lemnos, s'était prononcé « Souverain de tous ». Redoutable stratège, il avait fait plier tous les peuples qui avaient eu la malchance de se trouver sur son chemin, réduisant en cendres des villages entiers, habitants compris. Assoiffé de victoire, il avait ensuite entrepris de soumettre Gobán, Keahi, Afar, Tibesti et Asân. Les trois premières avaient capitulé rapidement face à la férocité de leur adversaire. La dernière avait été rayée de la carte. Mais Tibesti n'avait jamais été soumise, jamais conquise. Pendant près de trente ans la guerre avait fait rage, entrecoupée de trêves et de cessez-le-feu. Puis, dans les deux camps les hommes avaient fini par se lasser de cette lutte sans fin et les deux Seigneurs avaient entrepris de parlementer. Des accords avaient été trouvés et un mariage organisé.

En échange de la paix, le Seigneur de Tibesti offrit en mariage sa fille cadette, Vesta, au Prince Thérik. La jeune femme ne remit jamais les pieds dans sa Cité natale.

À peine deux ans plus tard, Vesta mourut en couche à Centralia (l'ancienne Lemnos) et les accords se révélèrent désavantageux pour les Tibestis, contraignant leur commerce et les forçant à se battre seuls contre les hordes de pillards opportunément repoussés sur leurs terres par Thérik, devenu Roi à la suite de son père.

Kayla avait fini par comprendre qu'Azar, comme toujours, avait raison. Léonora avait souhaité que sa fille reprenne son flambeau et règne un jour sur sa ville. Mais elle était morte depuis maintenant cinq années, et son souhait n'était plus qu'un lointain souvenir. Personne ne suivrait une jeune femme malade et, de surcroit, sans la moindre étincelle de pouvoir.

La position qui lui avait autrefois été destinée, requérait une force qu'elle n'avait pas. La redoutable Léonora de Tibesti, elle, avait cette aura naturelle qui poussait les hommes à la suivre au combat sans jamais douter et, pendant des années, sa rage avait attisé l'orgueil et le courage des Tibestis. Elle n'avait jamais pardonné les crimes d'Allarick et le sacrifice de sa sœur, aussi avait-elle passé sa vie à exhorter ses sujets à ne pas céder face à ceux qui voulait les voir courber l'échine, à se libérer des accords corrompus signés par son père.

Hélas, la mort de Léonora avait changé bien des choses. De nouveau, la volonté des Tibestis s'éteignait et ils ne luttaient plus. La situation était désastreuse, des maraudeurs s'aventuraient de plus en plus loin sur leurs terres, saccageant les villages, pillant les réserves et semant la terreur. Trois jours plutôt des incendies dévastateurs avaient été signalés à l'Est, ravageant de grandes étendues de champs et de pâturages ainsi que le bétail qui s'y trouvaient, amputant la Cité du plus gros de ses ressources. Tibesti s'affaiblissait et ses ennemis rôdaient aux frontières, tels des loups affamés attendant le moment propice pour frapper leur proie.

Dans l'ombre des flammesWhere stories live. Discover now