La Fête de Sally

Chapitre 21 : où Lyla et Owen sont au cœur de toutes les conversations

Vendredi 21 avril

           Aller au studio avec Owen me donne l'impression de retourner dix ans en arrière, sur le chemin du collège. Silencieux et la tête toujours dans les brumes du sommeil, nous profitons de la présence de l'autre avant d'être plongés dans le chahut du studio.

Je remonte le col de ma veste d'un geste à la fois frileux et nerveux. Il est six heures, l'air est frais sans être glacial au printemps : il gèle le matin et fait trop chaud dès que le Soleil daigne pointer le bout de son nez. J'avoue que cette reprise de la danse après tout ce qu'il s'est passé récemment dans ma vie m'angoisse. Je cherche du réconfort en attrapant la main d'Owen lorsque je demande :

–       Est-ce qu'on fait semblant ou on assume ?

Je parle de notre relation. Je lève les yeux vers mon ami pour guetter sa réaction. Un mince sourire apparait sur son visage, qu'il essaie de dissimuler tant bien que mal.

–       Tu crois qu'ils vont être dupes ? Déjà qu'il y avait des rumeurs, alors maintenant qu'on arrive ensemble après une semaine d'absence, c'est fichu !

–      Pas faux.

Et pour la première fois depuis des années, un silence gêné s'installe. Owen est plus qu'un ami pour moi et je sais que mes sentiments sont réciproques. Seulement je sais aussi qu'il ne franchira pas la limite en premier afin de me laisser tout le temps dont j'ai besoin. Et moi... j'ai peur. C'est bête hein ? Je meurs d'envie de briser cette barrière et malgré cela, je crains d'aimer le souvenir que j'ai de lui plutôt que l'homme que j'ai en face de moi.

Pourtant je n'ai pas mentionné ici à quel point Owen a changé depuis notre adolescence. Enfin non, il n'a pas changé : il a vieilli. Son visage a perdu les rondeurs de l'enfance pour devenir plus tracé, plus barbu aussi, comme j'ai pu constater le matin où je l'ai trouvé sur mon canapé. Il n'a pas grandi mais il a gagné en muscles, ce qui lui donne facilement dix centimètres de plus que dans mes souvenirs. Sa peau s'est hâlée à force de vivre au soleil, faisant ressortir ses yeux bleus. Bref, ce n'est clairement plus le petit garçon dont je me souvenais, mais ce n'est pas pour me déplaire. Est-ce que j'ai le droit de l'aimer à nouveau ?

Arrête un peu de réfléchir Lyla, tu vois bien que tu ne feras pas ta vie avec un autre que lui. Qu'est-ce que tu attends ?

Eh bien justement, je ne sais pas. Pourquoi ai-je peur ? Je ne mérite pas d'être heureuse après cinq ans dans le mensonge ?

–       Lyly, regarde-moi. 

Je lève le nez vers mon ami. Il a compris mon hésitation. Est-ce qu'il sent mes sentiments pour lui revenir ?

–       Je n'en demande pas plus que de pouvoir rester à tes côtés, d'accord ? il serre ma main dans la sienne d'un geste rassurant. Et puis ça fera durer le suspense pour les autres comme ça.

- Tu es diabolique, je souris.

*

          Ça ne rate pas, toutes les têtes se tournent vers nous lorsqu'on arrive près des vestiaires. Il n'y a pas tout le monde au vu de l'heure matinale, mais ceux qui sont là ne perdent pas une miette du spectacle.

–      Je t'ai laissé une petite salle individuelle pour que tu t'entraînes, ça sera mieux pour toi je pense. Tu as du boulot à rattraper...

Je me redresse, les épaules tendues par la pression de mon métier qui reprend instantanément sa place en moi. J'ai raté trop d'entraînements. Je n'ai pas dansé depuis trop longtemps. La Première est dans deux semaines. Je ne sais même pas si j'en suis capable. Tu as fait n'importe quoi Lyla...