Chapitre 3 : où un miracle a lieu

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Jeudi 9 mars

          Aussi étonnant que cela puisse vous paraître, je débarque en avance à l'entraînement ce matin. Il est probable qu'Elise fasse une crise cardiaque en arrivant. Sincèrement, je crois que je ne suis jamais entrée dans le studio avant 7h50 auparavant. Et aujourd'hui il est 6h30, je n'ai pas de fièvre, et j'en franchis les portes.

Pas la grande porte d'entrée, vous vous en doutez. Ils ne laissent pas le grand théâtre ouvert comme ça toute la nuit ! Mais il est connu que nous, les danseurs, sommes de grands habitués des horaires étranges : on peut donc accéder aux derniers étages à toute heure du jour et de la nuit avec une carte spéciale, en passant par une petite porte derrière. Eh oui, ça sert.

J'entre dans les locaux sur la pointe des pieds, ce qui est très bête maintenant que j'y pense puisque personne ne dort ici. Je ne peux pas m'empêcher de pousser un soupir en lorgnant sur les escaliers. Arg ! Il faut vraiment être motivée pour danser ici. Je prends mon courage à deux mains et je gravis les cinq étages . Le fait de voir les locaux déserts me met dans une sorte d'euphorie. Un peu comme quand on était jeunes et que nos parents partaient toute la journée. Ça donne envie de faire des bêtises. Lyla, tu es une jeune femme raisonnable, maîtrise-toi un peu.

Pourquoi ai-je voulu venir si tôt ? Je me suis réveillée ce matin avec un sentiment étrange, comme si tout mon corps me criait de danser. Je sais que j'ai passé une nuit agitée car j'étais collante de sueur à mon réveil, mais je n'arrive pas à me rappeler des cauchemars qui l'ont peuplée. Tout ce dont je me souviens, c'est de ce rêve très doux qui a chassé les horribles songes. Je le faisais beaucoup quand j'étais enfant, pour me rassurer je pense. Ce n'était pas tous les jours facile, il y a dix ans. Comme je disais avec Adam, les enfants n'ont aucun filtre, mais ce sont des humains bien plus sensibles que des adultes. Je vous laisse imaginer les catastrophes... J'ai sûrement refait ce rêve à cause de mes cauchemars.

Les vestiaires vides sentent le produit de nettoyage, signe qu'il a été fait peu avant mon arrivée. Je pose mon sac sur le banc en bois et j'entreprends de bander mes pieds avant d'enfiler mes chaussons. Une fois prête, je me dirige vers la salle en laissant mon sac grand ouvert : ça ne craint rien ici.

Mes pas résonnent sur le parquet de la salle vide. Certains pourraient trouver cela intimidant mais moi j'éprouve un certain réconfort à être ainsi seule dans ces lieux que j'admire tant. La condition pour que l'on puisse venir ici à toute heure c'est : le calme. J'enfonce donc mes écouteurs dans mes oreilles, et je fixe droit devant moi, concentrée sur mon reflet dans le miroir.

Lorsqu'il y a quelque chose qui me tourmente et que je n'arrive pas à oublier, la solution la plus efficace a toujours été la danse. A croire que transpirer fait sortir tous mes problèmes par les pores de ma peau. Après un échauffement rapide je passe aux choses sérieuses. Je répète donc la danse que le nouveau chorégraphe a créé spécialement pour nous, apparemment. Je sais que la direction choisit parfois des nouveaux talents pour les aider à gagner en notoriété. Il doit en faire partie car je ne connais même pas son nom. J'étais tellement mortifiée la dernière fois que j'en ai oublié tout le reste. Faudrait quand même que je demande à Elise, c'est la moindre des choses... Et puis il doit malgré tout avoir un certain renom parce que mes collègues semblaient le craindre la semaine dernière. En une semaine je n'ai pas été capable de retenir son nom, ça craint. Là n'est pas le sujet.  

Concentrée au maximum, je sens la sueur qui commence à perler sur mon front. C'est bon signe. Je l'essuie du revers de la main. Zut, ce pas est vraiment compliqué...

Je dois avoir dérangé les petites habitudes d'un amateur du matin car j'aperçois du coin de l'œil dans le miroir une autre personne qui entre. Peu importe, reste concentrée Lyla. Trop tard : cette irruption dans ma petite bulle me déstabilise à un instant critique. Je rate mon pas et tombe au sol. Rah ! Bon, ce n'est pas grave. Peut-être que comme ça je pourrais travailler avec la personne qui vient d'arriver. Enfin c'est ce que je croyais jusqu'à ce que je m'aperçoive qu'il s'agit de notre fameux chorégraphe. Bon, ce n'était pas dans les plans ça.

La Fête de SallyWhere stories live. Discover now