Anniversaire

5.8K 159 2
                                    

Je ne crois pas avoir le moindre souvenir avant mes 9 voire 10 ans. Ne me demandez pas pourquoi. De toute évidence je souffre d'une sorte d'amnésie. Hier Sophie m'a demandé si je me rappelais quand j'avais appris à faire du vélo. Je n'avais pas su répondre. Je pensais à ça en me préparant face à mon petit miroir.

TOC TOC TOC

« Punaise Laurette sors de là !! » Hurle James. « Je vais encore être à la bourre à la fac ! Tu fais chier ! »

Il m'énerve James. C'est un de mes colocs. On est 4 français dans cet appartement barcelonais. Bon y a James, qui se lève toujours en retard et du coup me hurle dessus alors qu'il demeure le seul responsable de sa situation, ce qui explique que je ne me presse pas plus que ça. Il est en école de kiné, rêveur et doué de ses mains.
Il y a Mathias, un geek de première. Il n'est pas étudiant. On s'est greffé à sa coloc. Il est le seul à avoir du boulot, un vrai avec un salaire. Il est dans l'intelligence artificielle. Je ne comprends absolument rien à ce qu'il fait et lorsqu'il tente une explication c'est encore moins clair...
Puis il y a Sophie. On est ensemble depuis le CM1. Mêmes classes depuis toujours sauf un an en 4ème, la pire de notre vie. A tel point que ses parents et ma tante avaient fait un courrier pour qu'on ne soit plus séparées.

On avait fait nos vœux sur Parcoursup en même temps l'an dernier et clairement, quand on a toutes les deux été prises à Barcelone, elle en sciences et moi en parfumerie on a fait la fête 3 soirs de suite ! Mon foie grimace encore en y pensant.

Sophie et moi on est l'exact opposé l'une de l'autre. C'est peut-être pour ça qu'on se complète si bien. Elle est belle ma Sophie, grande, blonde, des yeux à faire palir un après-midi d'été. Et je ne vous parle pas de sa poitrine, magnifique. Sophie c'est la fille que tout le monde regarde, en plus elle est naturelle, farfelue, drôle, elle ose tout !

« Bon tu sors !!! » insite James toujours en tambourinant.

« Ouiiiiiiii Messire » rétorquais-je en ouvrant la porte et lui adressant mon plus beau sourire forcé. Il souffle et me pousse.

« Je suis super à la bourre » se plaint-il « j'ai un cours de pratique dans 20 minutes, je ne peux pas manipuler quelqu'un avec l'odeur de la soirée d'hier ! Sans oublier que c'est en partie ta faute Laurette. C'est bien la célébration de tes 18 ans qui nous a occupé une grande partie de la nuit ? »

« Tu n'avais qu'à te lever quand ça a sonné » lui lançais-je en terminant de me peigner mon indomptable chevelure dans le couloir.

J'ai des cheveux tout frisés et bruns. Je n'arrive jamais à les coiffer et toutes mes tentatives se conclues sur un chignon déconstruit tenant après plusieurs tentatives généralement avec un crayon. J'admire les filles qui les lâchent et les secouent en marchant. Moi si je fais ça les gens penseraient que je suis Chewbacca.

Mes 18 ans... cette soirée vraiment était pfff je n'ai pas les mots. « Spéciale » est le premier qui me vient. Sophie avait tenu à fêter ça dans un bar alors qu'on ne connaissait personne. James était avec nous. On a bu plus que de raison et on est rentrés en chantant et se tenant les uns aux autres. James a vomi deux fois sur le retour ce qui explique sans doute son empressement à partir se doucher.

En rentrant sous le porche de l'entrée on rigolait super fort, soutenant James du mieux possible mais clairement ce n'était pas évident, j'ai senti une odeur vraiment agréable qui m'a faite frissonnée. Un mélange d'odeur de sous-bois et de musc, un truc waouh. Je me suis surprise à chercher la provenance lâchant ma prise et James s'est effondré. Il fallait vraiment aller le coucher. Je n'ai rien dit à Sophie, elle se serait encore moquée de mon sens surdéveloppé et de toute manière l'odeur avait disparu.

Je me faufile dans ma chambre où j'enfile mes converses pour compléter mon jeans t-shirt.

« Lauretttteeeee !!!! bouge on va finir par devoir courir et il est hors de question que j'arrive pleine de sueur le jour de la rentrée ! » braille Sophie du salon. Si elle s'y met aussi je sens que ma journée va être longue.

« Voilà ! » lui dis-je en surgissant du couloir.

Sophie hausse un sourcil « Tout ça pour ça ? On dirait que tu portes la même tenue qu'hier. Tu sais Laurette que tu es mon diamant brut ? Te tailler semble nécessaire »

Je regarde Sophie qui comme d'hab semble sortir d'un catalogue de créateur. Je souffle et nous partons. Elle en trottinette et moi à vélo.
J'aime ça le vélo. Le mien est rouge, ma tante me l'a offert pour mon départ de la maison, en prévision de mes 18 ans. Il était à mon père m'a-t-elle dit. Cela lui donne d'autant plus de valeur.

Je n'ai pas de souvenir de mes parents ou alors flou. Une vague odeur, une impression. On avait eu un accident de voiture. Je suis la seule à avoir survécu et ma tante Rafaela m'a accueillie. Elle est naturopathe Rafaela, une perle. C'est la sœur de maman, je tiens de ce côté brésilien de la famille mon teint halé et mes cheveux indomptables. Je crois que ma présence, la gestion de mon traumatisme et mes terreurs nocturnes lui ont un peu impactés sa vie. Elle a toujours été là pour moi. Comme Sophie. Ma vie a été plus belle avec elles que je n'aurai pu l'espérer.

« On est en amphi pour l'accueil des 1ere années Lolo, magne toi je veux être bien placée pour avoir une vue centrale sur les étudiants » précise mon amie « c'est le premier jour, ce qui signifie que la chasse est ouverte ! ».

Tu parles d'une chasse. Elle est marrante Sophie. Elle elle chasse et moi je regarde. Rien de plus. Sophie plaît aux garçons tandis que moi je la suis. Je tiens la chandelle comme on dit... et ce depuis l'élémentaire. En même temps ils me font peur. Je ne sais jamais quoi leur dire.

« Mouais » répondis-je.

Arrivée dans le hall il y a une effervescence incroyable ! Tout le monde s'agite, cherche sa salle, se salue. Je sens que la vie étudiante va me plaire. Je lève la tête vers la coupole en verre au-dessus de ma tête. C'est grisant cette lumière, cette vie ! Mon regard redescend sur un point noir immobile. Au fond du hall un type me fixe, avec la capuche de son sweat noir sur la tête. Des yeux d'un bleu glaçant.

« Allerrrrrr !! purée Laurette ce que t'es molle! » Sophie m'agrippe et me tire vers l'amphi, mon regard cherche l'homme immobile mais ne le trouve plus.

« Là ! c'est par-fait » estime mon amie en jetant son dévolu sur 2 places au centre en haut de l'amphi « d'ici nous aurons une vue imprenable sur notre nouvel environnement » précise-t-elle pleine de malice.
Sophie est comme ça, elle plait et en profite. C'est sûr que je me sens moins concernée. Je suis beaucoup, beaucoup plus banale et certainement bien moins sûre de moi.

J'installe mes affaires pendant que l'espace se remplit. On est nombreux, tous les étudiants en 1ère année toutes filières confondues. Je cherche une connexion internet quelconque en ouvrant mon PC et sens soudainement comme un poids sur mes épaules.

On m'observe.

Je balaye l'espace du regard quand celui du type à la capuche me percute. Il est là, tout au bout de mon rang, à l'angle de l'amphi et me fixe.

C'est quoi ce bordel ? Il a l'air singlé ! je me sens gênée et feins de ne pas le remarquer.

D'une lune à l'autreWhere stories live. Discover now