Prologue

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Le vent souffle si fort que j'ai l'impression que le toit va s'envoler de la maison. Parfois, j'entends le tonnerre au loin - chaque fois, je sursaute. Au début, je tente de m'amuser avec mes jeux, mais je n'y arrive pas, si bien que j'essaie de lire. Mon esprit refuse cependant de se concentrer sur les mots.  Je ne sais plus quoi faire pour m'occuper. L'orage n'est pas prêt de s'arrêter ; pourtant il a plu toute la journée.

Je descendrais bien, mais... En bas, j'entends Papa et Maman se disputer. Ce n'est pas la première fois, mais c'est très fréquent, en ce moment. Trop, peut-être. Maman me dit de ne pas s'inquiéter, qu'ils s'aiment encore, que tout va bien. Les traits de son visage la trahisse ; tout ne va pas bien. Elle est fatiguée. Papa aussi. Je ne sais pas pourquoi. Volontairement, ils gardent leurs secrets pour eux. Ils se disputent à voix basse, pour que je n'entende rien. Ils changent de conversation, chaque fois que j'entre dans la pièce. Ils cachent leurs mines fatiguées, et troquent leurs larmes contre des sourires. Quand je pose la moindre question, ils me répètent la même rengaine, sur le même ton : "Tu es trop jeune, Lully. Tu ne comprendrais pas". Je voudrais tellement leur tenir la main, les faire sourire. J'ai l'impression d'avoir tout essayé, du moins tout ce qu'un enfant comme moi pouvait essayer. Je voudrais tellement que tout aille mieux entre eux. Entre nous.

Une ombre passe devant ma fenêtre, et je prends peur. Je sors de ma chambre, dévale les marches de l'escalier. J'ai envie de me réfugier dans leurs bras. Je passe par la cuisine, atterris au salon. Ils sont là. Je n'ai que quelque pas à franchir pour les rejoindre, mais je m'arrête dans mon élan. Ils se disputent, vraiment très fort cette fois. Il pleut - ils crient - tellement fort qu'ils ne m'entendent pas arriver, alors je me cache.

Je parviendrais peut-être à les aider si je me cache, non ?

Soudain, les hurlements s'arrêtent. Je les entends pleurer. Ils sont éloignés l'un de l'autre - je prie pour que l'un d'entre eux réduisent cette distance. Ils n'en font rien. Mon père prend sa tête dans ses mains, et faiblement, entre deux sanglots, supplie ma mère :

"Ne fais pas ça, Poppy, tu m'entends ? Ne fais pas ça !

- Je n'ai pas le choix ! répond-elle sèchement. Quand est-ce que tu vas m'écouter, à la fin ? Tu refuses de comprendre, mais je dois partir... Je DOIS partir. C'est comme ça.

- Non, si tu pars... Si tu pars, Lully sera seule."

Il se rapproche d'elle, lui prends la main. Elle baisse la tête, et avec grande détermination, elle dit tout bas, d'un ton moins tranchant, moins sûr  :

"Elle ne sera pas seule. Tu seras là, et Rosaline aussi.

- Ce n'est certainement pas la même chose. Lully a besoin de sa mère.

- Je le sais bien, tu crois que je ne le sais pas ? Je ne fais pas ça pour moi. Ou pour toi. Je le fais pour elle. Tu ne peux pas m'en empêcher. Ne m'en empêche pas, s'il-te-plaît..."

Un ange passe. C'est mon père qui m'a appris cette expression. Selon lui, c'est quand il y a un silence lourd, pesant, qui s'installe dans une conversation à l'origine animée. Papa aime utiliser des expressions. Il en a toujours une, pour toute situation. Même pour celle-là. 

Je mets ma main sur ma bouche, pour éviter de faire du bruit, pour ne pas être repérée, maintenant que le silence - un silence lourd, pesant - s'est installé. Mon père le rompt peu après, avec un murmure :

"Comment tu comptes lui dire ?

- Je n'ai pas à le faire, soupire ma mère. Lully, sors de là."

Ma respiration se coupe. Mais alors... Depuis le début, elle devait savoir que j'étais là ! Papa semble surpris, au contraire de Maman, qui essuie ses larmes - alors elle aussi, elle a pleuré... Je sors de ma cachette. Je n'avais pas remarqué, mais des larmes coulent sur mes joues. Elle se baisse vers moi, me prends dans ses bras. C'est ce dont j'ai besoin. Comme toujours, Maman sait tout. Elle dit souvent que c'est son sixième sens. Je lui réponds toujours que j'aimerais avoir un sixième sens comme elle, et souvent, elle caresse mes cheveux, en disant que je l'ai déjà. D'autre fois, elle me regarde avec un sourire énigmatique, et murmure quelque chose comme : "Si tu savais...". Dans ce moments, on dirait qu'elle cache quelque chose d'important. Je n'ose pas l'interroger là-dessus, pourtant, car ma mère garde ses secrets comme un dragon garde son nid.

Papa se rapproche de nous, rejoint le câlin. Pendant un instant, on ne dit rien. On reste étreint, ensemble. Puis Papa se relève, et Maman aussi. Ils ne se regardent plus, et ne savent sûrement pas quoi dire. L'affreuse distance qui les séparait plus tôt revient. J'ai l'impression de devoir remplir le silence. Alors je prends une respiration, et tente de contrôler ma voix :

"Alors, ça y est, vous divorcez ?

- Non, souffle ma mère. Ce ne sera qu'une séparation temporaire. Je reviendrais, Lully.

- Vous vous aimez encore, alors ? insiste-je, terrifiée à l'idée qu'ils puissent en finir l'un avec l'autre.

- Bien sûr ! réponds Papa.

- Mais oui, ne t'inquiète pas. ajoute Maman.

- Promis ?"

Et tous les deux, à l'unisson répondent : "Promis !".

*

*

*

Une heure plus tard, Maman est sur le seuil de la porte, des bagages à la main. Les avait-elle déjà prêt, pour que son départ soit s rapide ? Je n'ose pas lui demander à elle, ou à Papa. Elle sourit, cependant ses traits sont tirés, et ses yeux reflètent une terrible tristesse. Si j'étais plus grande, j'aurais pu lui dire de ne pas partir. J'aurais pu faire quelque chose. Lui retenir la main. Poser des questions. Exiger qu'elle dévoile ne serait-ce qu'n de ses secrets. Mais puisque je ne suis qu'une enfant, je dois la regarder partir, sans pouvoir rien faire.

Elle nous adresse un dernier au revoir. "A bientôt, Lully" dit-elle, avant de remonter l'allée, en direction de sa voiture. Elle y arrive, monte, allume le moteur. Démarre, et disparaît. Elle disparaît, comme ça. Tout s'est passé trop vite. Pas une seule fois, s'est-elle retournée. Pas une seule fois. Ce n'est pas grave. Ce n'est pas grave car elle reviendra bientôt. C'est ce qu'elle a dit.

Mon cœur se pince. Je ne suis qu'une enfant, mais je sais que les adultes mentent.

Je me tourne vers Papa, et en regardant ses yeux, je sais qu'ils m'ont tous les deux mentis. Elle ne reviendra pas de sitôt. Mais je l'attendrais, et Papa aussi. Pour la vie, s'il le faut.

On l'attendra.

Perdue dans les contesWhere stories live. Discover now