Chapitre 6 : La lettre

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Avant d'ouvrir la lettre, j'ai attendu qu'Anaëlle et les deux autres soient parties. Quand le silence est finalement revenu, je me suis naturellement avancé vers la lettre, qui reposait sagement sur mon bureau, à côté du livre.

Elle est désormais dans mes mains, et je prends le temps de la soupeser, et de l'examiner calmement, avant de rouvrir délicatement le rebord de l'enveloppe. Je peux sentir une épaisseur certaine, et je m'en étonne car ma mère n'a jamais été le genre de personne a écrire beaucoup - elle préférait lire, et avait un talent inné pour imiter les voix des personnages. Je déchiffre aussi que l'adresse apposée sur l'enveloppe a été écrite à la va-vite, d'une main tremblante. Ma mère semble se trouver à Bird-Ville, au numéro 7, rue Copperfield.

Je ne résiste pas à reposer la lettre, et à rechercher sur le portable familial que j'ai piqué au passage, en remontant les escaliers, "Bird-Ville, 7 rue Copperfield". La carte m'indique qu'il s'agit d'une maison, coquette bien que petite, d'après les images. La maison se trouve dans une ville, Bird-Ville, qui se trouve sur une île, Bird-Island, qui elle-même se trouve au bord des côtes de la Bretagne. Ça fait beaucoup de "Bird" - à se demander qui à nommer le tout ainsi, et pourquoi. Oh, il y a même un site web de la ville !

Je lis entre les lignes le paragraphe d'introduction à la ville présent sur le site, mais voilà ce que je peux dire : il y a peu d'habitants, et la plupart d'entre eux travaillent dans de petits commerces survivant grâce au tourisme, ou à l'école privé Stocker. On peut voir une photo, en bas du texte ; des enfants d'âges variés sont présents sur la photo, certains souriants et d'autres clairement agacés d'être pris en photo. On peut aussi y voir les enseignants de l'époque, d'un style différent de ma propre institutrice, Mme Grincheuse. Et, en zoomant sur la partie haute gauche de la photo, on peut y voir...

Ma mère, vivante et souriante !

Je pousse un léger cri d'excitation, avant de couvrir ma bouche. Je sautille ensuite, en silence, avant de me rappeler que je suis seule. Alors, j'enlève mes bras de ma bouche et me mets à rire compulsivement, en dansant sur place. Ma mère, ma mère ! Elle est vivante, et elle n'est qu'à quelques kilomètres de moi ! Elle doit sûrement travailler dans l'école ! Je n'arrive pas à croire que mon père m'ait empêché de lire sa lettre ou de la contacter depuis tout ce temps, alors qu'il savait très bien où elle était, et qu'elle était en capacité de m'accueillir sur l'île, pendant les semaines de vacances - je veux dire, elle travaille, elle a une maison... Qu'est-ce qui a bien pu le pousser à m'isoler de Maman ?

Je cesse de danser, maintenant que je suis incapable de respirer régulièrement, et retourne immédiatement à la lettre, fébrile de savoir - enfin - ce qu'elle contient. Je lis les mots à voix basse.

"Henry,

Je sais que notre histoire s'est très mal terminée, et je sais que je suis grandement fautive. Il y a des secrets que je n'aurais pas dû garder pendant si longtemps, et d'autres que je n'aurais peut-être pas du te révéler, en fin de compte. Mais voilà où nous en sommes. J'ai mis cartes sur table, je ne savais pas comment elles allaient être jouées. J'ai eu des doutes, et j'ai maintes fois failli rebrousser chemin. Seulement, je ne suis pas partie par envie, mais par nécessité, et je ne pouvais pas revenir sans avoir accompli mon devoir.

Il s'est passé beaucoup de choses, trop pour que je puisse tout consigner ici. Je vais bien, rien de grave. Tu dois déjà le savoir, à présent, mais j'ai quitté le continent. Tu ne risques pas de me croiser au village, disons. Je ne peux pas encore revenir. C'est trop tôt pour cela - je crains que le futur soit compliqué et épineux.

En revanche, je veux revoir ma fille. Nous en avons parlé pendant longtemps, je le sais. Nous n'avions pas réussi à nous mettre d'accord. Seulement, c'est à présent nécessaire ; tu sais bien, comme moi, que l'envoyer dans l'École Stocker est la meilleure chose à faire. Alors je t'en supplie, réfléchis vraiment à la situation dans laquelle tu te trouves - dans laquelle nous nous trouvons tous -, et cesse d'être aussi buté. Je t'en supplie, au moins une fois dans ta vie, ait confiance en moi. Ait confiance en elle. Si elle reste ici, notre petite fille, ma Lully, sera en danger.

Perdue dans les contesOnde as histórias ganham vida. Descobre agora