Chapitre 13 : Un trajet en mer

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Je m'assois sur le matelas trop ferme de ma cabine et toise avec fatigue la danse agile des vagues, qui se heurtent au hublot ; je me trouve à présent dans la cabine du bateau Le Parthénope. J'appose le livre de cette femme sur mes cuisses, en essayant de faire du tri dans mes émotions. La mer est calme, mais je sens agitée.

Je fixe le livre, pour y trouver des réponses. Mais rien ne vient. Je n'arrive pas toujours à croire qu'on m'ait laissé le garder. "Mieux vaut l'emmener sur l'île" m'avait dit Rosaline. J'avais simplement acquiescé, sans demander pourquoi. Je n'ose plus poser la moindre question.

En tout cas, si un objet parmi tant d'autres avait été capable de me narguer, c'est celui-là en particulier qui l'aurait fait. Il m'aurait murmuré toutes les erreurs que j'avais commises, toutes les conséquences de mes actions, avec sa voix, et m'aurait poussé à soulever tempêtes et ouragans. Mais l'objet n'émet rien, et le silence nous entoure - heureusement.

Je dis nous, car je ne suis pas seule.

Annabelle se trouve en face de moi, sur le matelas d'un petit lit blanc bien trop petit pour son corps immense. Depuis que nous sommes entrés dans la cabine, ni l'une ni l'autre n'avons prononcé le moindre mot. Sûrement parce que nous n'avons rien à nous dire.

J'ai l'impression qu'une année vient de s'écouler, depuis le moment où j'ai trouvé la lettre de ma mère, et maintenant. Et pourtant, tout a été si vite - seulement quelques jours.

Ce matin, en me réveillant, Rosaline et mon père étaient déjà parti auprès d'Anaëlle. Hélas, je ne pouvais pas les accompagner - j'ai une autre destination, à atteindre - et ils avaient disparus avant que je puisse leur dire en revoir proprement. Avant que je puisse leur demander de dire quelque chose à Anaëlle à ma place. Je voulais tellement m'excuser, pourtant...

Bref, la maison était vide mais complètement propre, y compris ma chambre - merci au domovoï - et mes valises étaient déjà faites. Annabelle m'avait alors dit de la suivre jusqu'à Birdsville, où elle agirais comme un gardien jusqu'à que ma mère ne revienne. Si bien sûr, elle revenait. Je ne vais pas mentir, la situation ne me plaît guère. Mais que puis-je faire ? Je ne parviendrais jamais à échapper à la vigilance rapprochée d'Annabelle - et peut-être que sa présence me rassure, au fond. C'est la seule adulte qui me semble être la plus honnête, bien que trop brutale.

Cette dernière soupire - je ne peux pas voir son visage, mais je suis sûre qu'elle me foudroie du regard.

"Dis, gamine. Et si tu me laissais détruire ce maudit objet, hein ?"

Si j'avais pu, je lui aurais laissé le livre. Mais Rosaline m'a dit de le garder au chaud, pour l'instant. "Tu dois le garder, et le montrer au directeur" avait-elle insisté. Je n'avais jamais écouté Rosaline, auparavant, mais il y a un début à tout. Je compte bien tenir ma promesse. Le livre restera en parfait état, jusqu'à ce que le directeur de l'école privé Stocker ne l'examine.

J'essaie de répondre, d'expliquer, mais je ne réponds pas, ni ne bouge. Je ne parviens pas à faire part de mes émotions. J'ai l'impression de...  De brûler. Oui, d'être en feu. Ou peut-être de me noyer ? Ai-je honte ? Suis-je en colère ? Mes émotions se dirigent dans tous les sens et m'empêche de réfléchir.

Je me sens mal.

J'ai mal.

Et j'ai honte.

Annabelle claque ses mains contre ses hanches, produisant un son sourd.

"Je vois. Tu es encore sous le choc. Ah, ces sorcières, incapable de maîtriser leurs magies, soupire-t-elle, avec plus de douceur.

- Pourquoi m'adresses-tu la parole ? rétorque-je. Ne peut-on pas faire le voyage en silence, hein ?

Perdue dans les contesWhere stories live. Discover now