Chapitre 7 : Un bazar monstre

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La première chose que je fais, c'est de me rendre dans la terrible et redoutable chambre parentale. Rien que de prononcer ses mots confirme que Rosaline fait désormais bien partie de mes figures parentales, et qu'elle vit dans l'ancienne maison de ma mère, mange dans sa cuisine, et dors dans son lit.

Maman. Elle dort dans le lit de Maman. C'est un cauchemar qui dure maintenant un an. Il est temps que je me réveille.

Je frémis un instant, en franchissant le seuil de la porte - mais c'est surtout un frisson de dégoût, en voyant ce que Rosaline s'est permise de faire avec la chambre. Enfin, je sens bien une sorte de brise me caresser le cou, et descendre le long de ma colonne vertébrale, mais il ne s'agit là que de mon propre inconfort qui se manifeste. Un inconfort qui vient peut-être du fait que Rosaline a dépouillée la pièce - et même la maison - de son identité.

Oui, elle avait pris la peine, le premier mois, d'arracher à mains nue le papier peint que ma mère avait personnellement choisi, pour peindre ensuite sur le pauvre mur une couleur rose criarde, qui brûlait la rétine de ceux qui osait la regarder trop longtemps. Pourtant, elle ne semblait pas être le type de personne volontaire pour faire quelque travaux que ce soit - ma théorie est qu'elle avait simplement tout arraché avec fureur, pour chasser toute présence tangible de ma mère. Par la suite, elle avait déclarer ne pas aimer les anciens meubles, qu'elle jugeait trop modernes à son goût, et avait tout remplacer par des meubles en bois, lourdement décoré. Elle avait jeté les draps, les serviettes, les torchons. Elle s'était débarrassée des tableaux, des décorations, des lampes, de la vaisselle. Mais le pire, c'était bien la chambre parentale. L'ensemble qu'elle avait créé était tout simplement laid, trop chargé, trop rose et trop... Rosaline-esque.

Tout ce qui était à nous trois, elle l'avait remplacé, comme si elle savait exactement quels objets détruire pour effacer complétement la présence de la femme de celui qu'elle aimait. Peut-être avait-elle aussi un sixième sens, qu'elle utilisait pour le mal ?

Mais voilà que je me trouve dans son QG de harpie. Je soupire, en balayant les lieux d'un regard rapide. C'est un soupir qui provient du plus profond des poumons. Un soupir que je m'étais retenu de pousser depuis maintenant un an. Par quoi commencer ? Pas besoin, il me semble, de fouiller quoi que ce soit - mon père est bien trop malin pour cacher des informations sensibles à portée de main de Rosaline. Et je ne crois pas que cette dernière soit horrible au point de voler et cacher les lettres de Maman - d'autant que je n'aurais jamais mis la main sur l'une d'entre elles, si ç'avait été le cas.

Fouiller ? Non, pas besoin. Ce n'est pas la raison pour laquelle je suis descendu ici, non. La raison pour laquelle je me trouve ici, c'est pour m'attaquer à la garde-robe de cette femme, car il faut bien avouer que si elle n'a aucun goût pour la décoration d'intérieur, elle sait s'habiller avec élégance. Étape 1 de mon plan plus que bancal ; l'énerver au point où elle souhaite m'envoyer au loin. Jusqu'où ai-je besoin d'aller ? Pas trop loin non plus, j'espère.

Je déteste casser ce qui ne m'appartiendra pas. Une fois, Maman m'a dit que détruire était plus rapide que créer, et que c'est pour ça que les mauvaises personnes ne savaient que détruire ; parce qu'elles ne prenaient pas la peine de créer. J'y repense, à présent. Si je veux compenser mon geste, il faudra que je crée beaucoup, beaucoup, de jolies choses.  Plus tard. J'y penserais plus tard.

Je me dirige vers l'armoire au bout de la pièce. Rosaline possédait une grande collection de sac, dont j'avoue être jalouse, et pleins de vêtements chers de marques, qu'elle avait mis des années à collecter, en faisant le tour des friperies et boutique de seconde main - "possédait" car je m'apprête à tout détruire. J'ouvre grand cette armoire de grand-mère  et attrape le premier chemisier en satin que je trouve. Il est tellement beau. Le tissu est si agréable. Je le regarde un instant, indécise. Mon plan risque de ne même pas fonctionner ; suis-je sûre de vouloir aller jusqu'au bout ? Suis-je sûre de vouloir casser ? Assaillie de doute, je sens de nouveau cette sensation désagréable de frisson parcourant mon échine, et j'ouvre grand les yeux, pour mieux regarder - cette brise, qui me chatouille la colonne.

Perdue dans les contesWhere stories live. Discover now