14. Ad infirmariam - partie 2

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Irène se contorsionna pour voir son tatouage à l'épaule. Il était en effet visible.

Un sentiment absurde dans un contexte si lourd envahit Irène. Elle se sentait soudain gênée d'être en débardeur devant un garçon. Même en plein été, les filles ne dénudaient pas leurs épaules dans la ville traditionnelle. Elle n'avait jamais dévoilé ses épaules devant un inconnu, à part à la piscine. Elle se recroquevilla un peu sur elle-même, comme si elle avait froid.

— Ton tatouage est bagnifique, dit Elliot.

Il n'y avait ni ironie ni sous-entendus dans son intonation, mais Irène se sentit percée à jour. Elliot pouvait très bien avoir deviné la provenance de son tatouage. Peut-être se doutait-il déjà qu'Irène était venue dans la zone. Une telle information pouvait l'inciter à la soupçonner. Car si Irène était allée dans la zone, alors leur rencontre devenait possible. Qui disait rencontre, disait histoire commune ; qui disait histoire commune, disait suspicion.

Elliot pouvait-il être cet ennemi qui lui avait causé du tort ? Était-elle venue jusqu'ici dans le seul but de se venger de lui ?

À le voir ainsi, elle avait du mal à y croire. Le bandage qui dissimulait la moitié de son visage lui rappelait à chaque instant qu'il lui avait porté secours. Et ce dessin. Il attendait toujours sa réaction avec une vulnérabilité attendrissante.

— Tu dessines ?

— Oui.

— Souvent ?

— Tout le temps. Si je ne dessine pas, je be sens bal. Tu ne peux pas savoir ce que j'ai ressenti en découvrant ce carnet dans ba cellule... C'est bresqu'une addiction.

Il ricana. Ce même rire étouffé qui l'avait déjà trahi à plusieurs reprises. Elle se demanda à quoi ressemblait son vrai rire, celui qu'il avait quand il s'autorisait à être lui-même.

Irène voulut parcourir le carnet. Elle tourna la page à l'envers comme si elle lisait un manga.

Elle tomba nez à nez avec Jésus en croix. Le trait était différent de celui de la mésange bleue. Plus caricatural. Plus grossier, mais néanmoins précis. Impossible de ne pas reconnaître Jésus en croix, avec son pagne. Les clous plantés dans ses mains et ses jambes étaient exagérément gros, démesurés. L'expression de Jésus était plaintive, la bouche déformée à la manière d'un cartoon. Une bulle de discussion s'élevait de sa bouche. « On se les gèle à la prison. Ils pourraient au moins mettre le chauffage. Je suis à moitié à po... » Elle n'eut pas le temps de lire la suite. Elliot venait de lui reprendre le carnet des mains.

— NON !

Elle sursauta.

— Ne regarde pas le reste, ajouta-t-il moins fort, en rangeant son carnet dans sa poche.

— C'était le Jésus de nos chambres ?

— Tu n'aurais pas dû voir ça.

— C'est un dessin humoristique ?

Ce n'était pas vraiment une question. Irène tirait à haute voix ses conclusions.

— Pas du tout, trancha Elliot et Irène sut aussitôt qu'elle avait vu juste.

Une caricature. Elle ne prononça pas le mot à haute voix. Il n'existait presque rien de plus subversif que ça. Le simple fait d'avoir vu une caricature de Jésus pouvait lui causer des problèmes. Si Elliot n'était pas déjà un citoyen de la zone, il y aurait été envoyé sur le champ. Et plus probablement, du fait d'avoir mis ses dessins dans les mains d'une citoyenne traditionnelle, risquait-il bien pire. Des années de prison. Une vraie cette fois.

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionWhere stories live. Discover now