11. Cenam vestram fruimini - partie 1

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~ Bon appétit

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~ Bon appétit

À cause des nocturnes et des couleurs, Irène avait presque oublié l'épreuve des faveurs qui devait avoir lieu dans la matinée. Elle n'avait pas eu le temps de réfléchir à la meilleure façon de mettre à profit son avantage. Elle connaissait la teneur de l'épreuve, mais n'avait rien préparé, n'avait prévenu personne.

Dans le réfectoire, on les fit asseoir sur des bancs alignés, dans l'ordre officiel. Irène se retrouva de nouveau assise entre Victoria et Fatiha. Les souvenirs qu'elle était parvenue à récupérer concernant Ennemis jurés étaient parfaitement limpides en ce qui concernait cette première épreuve. Comment oublier le tout premier épisode de l'émission ? La toute première épreuve ? Elle avait grandement marqué les esprits et participe au succès du programme. Irène sentit son estomac se contracter au point de lui donner la nausée.

Les tables du réfectoire avaient été retirées, laissant un grand espace vide au centre de la cantine. On avait posé là une table ronde, élégamment dressée. Rien n'avait été laissé au hasard, de la nappe blanche soigneusement repassée au sublime bouquet de poinsettias rouge, en passant par l'argenterie rutilante. L'ensemble avait été pensé pour un dîner en tête à tête qui, vraisemblablement, n'aurait rien de romantique.

Achille Moreau entra quelques instants après eux. Sans applaudissements, ni musique, ni effets de lumière ses entrées perdaient de leur superbe. Mais il ne semblait pas s'en rendre compte, il défilait exactement comme s'il s'était trouvé devant un public passionné et nombreux. Son sourire dévoila ses dents immaculées aux incisives proéminentes.

Achille marcha et s'arrêta au-dessus d'une croix tracée à la craie. Il se trouvait ainsi entre la table et les candidats.

— Chers détenus, vive la France !

— Vive la tradition, répondirent-ils en chœur, plus ou moins.

— Nous nous retrouvons aujourd'hui dans ce réfectoire de prison pour la première épreuve de faveurs de cette saison. Nous avons préparé cette épreuve avec amour, tout spécialement pour vous. Nous savons qu'à la prison, les repas ne sont pas toujours ni très roboratifs, ni très savoureux. Alors, nous avons mitonné des petits plats surprises qui vous raviront... ou pas.

— Je crains le pire, murmura Victoria à l'attention de son autre voisin qui se trouvait être Enzo.

— Et comme un bon repas se partage, nous avons prévu des dégustations en tête à tête, dit-il en désignant les deux chaises vides. Même si, en réalité, seul l'un des deux aura le plaisir de manger. C'est la grande injustice de ce jeu, il n'y a qu'un repas pour deux et qu'une récompense également. À l'issue de cinq duels, cinq récompenses seront distribuées. Cinq détenus parmi vous gagneront une voix supplémentaire pour le procès de demain, leur vote de demain comptera donc double.

— On ne joue pas par équipe finalement, chuchota Victoria.

— Oui et non, répondit son partenaire. Ta victoire n'aura aucune valeur si les autres oranges se plantent.

Chuchotée, la voix d'Enzo paraissait encore plus grave qu'elle ne l'était.

— En plus ! poursuivait Achille, indifférent à leurs bavardages. Une récompense supplémentaire et surprise récompensera le meilleur parmi vous. Je vous révélerai la nature de cette récompense à la fin du jeu.

Irène se mit à désirer ce prix, en espérant de tout son cœur qu'il lui permettrait de se protéger des autres. Ce désir était si fort. Elle n'avait pas réalisé à quel point elle se sentait menacée et sans défense.

— Je pourrais vous souhaiter bonne chance, mais ce n'est pas la chance qui vous aidera le plus dans cette épreuve. Je vous souhaite donc plutôt un bon appétit, du courage, de sacrées bonnes tripes et des estomacs particulièrement bien accrochés. Il faut une résistance hors normes au dégoût et une bonne déglutition pour réussir. Je vous souhaite d'avoir de la volonté. Enfin, n'oubliez jamais la devise de l'émission. Gnothi Seauton, les enfants. N'allez pas vous surclasser, connaissez vos limites, connaissez vos faiblesses. Utilisez avec finesse la manipulation et le bluff et vous mettrez toutes les chances de votre côté.

L'animateur ouvrit grand les bras devant lui comme pour accueillir un ami.

— Avouez que cela ouvre l'appétit, n'est-ce pas ?

Tout l'inverse plutôt. L'estomac d'Irène ne se desserrait pas. Elle ne se sentait plus du tout capable d'avaler quoi que ce soit. Savoir ce qui l'attendait ne l'aidait pas vraiment, bien au contraire.

— Je vais maintenant procéder au tirage au sort. Il n'oppose pas forcément les oranges aux violets.

Tout d'un coup, une femme de grande taille entra dans le réfectoire. Elle était vêtue d'un jogging de prisonnière, comme eux, seulement elle possédait de très longues jambes que des talons aiguilles faisaient paraître encore plus longues et un décolleté béant qui laissait voir la dentelle de son soutien gorge. Contrairement à leurs joggings, le sien était barré de rayures blanches et noires, comme dans les pénitenciers américains. La mannequin, le visage inexpressif, s'avança avec un déhanchement prononcé et adressa le panier à Achille Moreau.

Il touilla longuement, lentement, en faisant durer le plaisir. Puis, il sortit un papier de couleur grise, le déplia avec toutes les précautions du monde tandis que les joueurs avalaient leur salive. On n'entendait plus que le bruit des respirations.

Achille lut intérieurement l'inscription, balada son regard parmi eux, l'œil perçant. Il n'insista sur aucun participant en particulier. Puis, quand il aurait été ridicule de faire durer le suspense plus longtemps, il dit le premier nom :

— Elliot !

L'appelé se leva aussitôt pour rejoindre la table centrale et s'y installa en machant son pouce. Achille Moreau tira un papier violet et Irène sentit son cœur s'arrêter. Un espoir fou monta en elle. Si elle était tirée au sort tout de suite, ça serait une bonne chose. Quiconque avait déjà vu ce jeu le savait.

— Qui sera opposé à Caroline.

La jeune fille rousse se décomposa en entendant son nom. Irène pouvait le comprendre. À sa place, elle n'aurait pas sauté de joie non plus. Caro ne savait pas à quoi s'attendre. Malgré son appréhension, elle se leva et avança sans entrain vers la table centrale.

— Ne t'inquiète pas, dit Irène pour l'encourager. Tu vas très bien t'en sortir.

Caro ne parut pas convaincue.

— Belle solidarité chez les violets, approuva Achille.

— Allez Caro, ajouta-t-elle en cherchant l'appui de Guillaume et François.

Allez-y quoi ? Encouragez-la !

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant