Chapitre 17

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Jarod


Parfois, certaines personnes cherchent à oublier, car c'est plus facile ainsi. D'autres affirmeront que notre construction ne se limite pas à notre passé et qu'il faut avancer. J'ai rencontré des individus « expérimentés » dans la vie qui prétendaient, grâce à leur expérience, pouvoir m'enseigner des leçons. Je suis également avide d'apprendre de nouvelles choses. Mais quoi qu'il en soit, je ne voulais rien oublier de mon passé. Chaque instant était précieusement conservé en moi, comme s'il était vital de ne pas l'oublier. Car je n'ai que mon passé, et aussi douloureux soit-il, je ne peux le laisser s'évaporer de ma mémoire.

La douleur est parfois insupportable, surtout lorsque les souvenirs sont heureux. Le contraste était si frappant avec les lieux que je me demandais par moments si je n'avais pas inventé tout cela pour survivre. Je parle ici de mes amis. Comment pouvait-on envisager d'avoir des amis dans un endroit tel que le Centre ? Mais j'ai dû l'admettre, afin de ne pas me laisser emporter par la folie. De plus, j'avais écrit des lettres à mademoiselle Parker. On n'écrit pas à un être fictif, du moins je le crois. Je me souviens encore du nombre de crayons utilisés. Étant gaucher, j'avais du mal à écrire sans tacher mes mots d'encre. J'ai donc opté pour un crayon à papier, et Sydney, ne voulant pas me voir contrarié en tant que gaucher, m'a offert une gomme pour que ma correspondance unilatérale ne soit pas entachée de ratures. Je ne pourrais pas vous dire combien de lettres je lui ai écrites ni combien de souvenirs nous partagions, mais je n'ai rien oublié de leur contenu. Et contrairement à elle, je ne suis probablement pas près d'oublier.

J'étais incapable de comprendre. Enfin, si je le pouvais, je pourrais aisément vous décrire la réaction physique qui s'emparait de moi, et contre laquelle il était inutile de lutter. J'étais comme un aimant attiré par son pôle contraire. Peu importe ma colère envers elle, ma rancune face à sa perte de mémoire, sa froideur, son insensibilité, son traitement dédaigneux à mon égard, rien ne changeait. J'étais presque hypnotisé par son regard noirci par le mascara non résistant à l'eau. Tant de fois, dans le passé, je me suis noyé dans ce regard, emporté par une vague qui aurait pu faire chavirer le navire le plus insubmersible. Hypnotisé par la couleur ébène de ses cheveux, la blancheur de son teint d'albâtre, l'odeur légère et fruitée de son shampoing, et la touche plus intense d'un parfum de luxe. Hypnotisé par les courbes de son corps inconnu, moi qui n'étais resté qu'avec l'image d'une adolescente. Et que dire de ses jambes interminables et fines, de sa bouche indomptable, de ses lèvres charnues légèrement ourlées de rouge carmin ? Je pourrais m'égarer si je continuais sur cette lancée. Je devais me reprendre, car mon corps était en alerte et cette proximité était trop dangereuse. Sentait-elle mon trouble, elle qui autrefois, avec son regard perçant, savait interpréter chaque expression que mon visage trahissait lorsqu'elle me poussait à faire des bêtises ?

La lumière s'éteignit soudain, mettant fin à cette étrange contemplation qui faisait battre mon cœur de plus en plus rapidement. Nous nous retrouvâmes presque plongés dans l'obscurité, éclairés seulement par le feu de la cheminée et les éclairs sporadiques qui zébraient l'horizon à l'extérieur. Nous nous ressaisîmes, c'était nécessaire, et je me dépêchai de récupérer les bougies que j'avais repérées à l'avance sur la cheminée. Cela nous offrirait un peu plus de lumière, c'était mieux que rien. Toujours lié et enchaîné à Parker, je veillai cependant à ne pas lui imposer de geste brusque. Dehors, le tonnerre gronda à nouveau. Certains auraient pu trouver cela menaçant, mais moi, cela me fascinait, même si mon corps frigorifié refusait d'apaiser les tremblements qui s'emparaient de moi. J'avais besoin d'une couverture, mais l'air désolé et sincère de Parker, qui me troublait plus que je ne l'aurais cru, m'indiqua qu'il n'y en avait pas d'autres. « — Eh bien... je vais faire avec alors », lançai-je sans trop y croire. Parker, quant à elle, pouvait se vanter d'en avoir deux, et... elle s'approcha de moi, attisant ma curiosité et mon incompréhension. Dans la clarté incertaine, je peinais à distinguer les traits de son visage, m'empêchant ainsi d'interpréter ce qui n'avait pas besoin de l'être. Mon cœur recommença à s'emballer lorsque je sentis sa présence se blottir contre moi, m'enveloppant d'un pan de sa couverture.

« — C'est... oui, merci », réussis-je à articuler tant bien que mal. J'étais à ce point que troublé que formuler une phrase correcte était un véritable défi. Sa tête glissa légèrement pour reposer sur mon épaule, me permettant de respirer son parfum envoûtant. J'étais tendu au début, incapable de comprendre ce que je pouvais faire dans cette situation. Pourtant, nos corps continuaient d'échanger de la chaleur. Elle proposa alors de nous installer devant la cheminée, me sortant presque aussitôt de mes pensées. « — Oui, c'est une excellente idée. Tellement bonne que j'aurais dû y penser moi-même. C'est ça, être un génie », lui répondis-je en souriant, sans trop savoir pourquoi. Nous prîmes place devant la cheminée. C'était à la fois étrange et incroyablement agréable, nos corps collés l'un contre l'autre, le bruit de la pluie martelant les fenêtres et le souffle mélancolique du vent. « — Si... si jamais tu veux te reposer un peu, tu peux t'appuyer sur moi », parvins-je à murmurer sans me sentir complètement ridicule. Dehors, le tonnerre gronda à nouveau, plus menaçant que jamais.

En pleine tempêteKde žijí příběhy. Začni objevovat