Chapitre 14 › Les dernières saveurs

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Plus de secrets. C'est ce que nous avions convenu avec mes amies. Pourtant, il y a bien un aspect de ma vie dont je n'ai parlé à personne et que je considère comme mon jardin secret.

Je connais le chemin qui mène à ma destination sur le bout des doigts. Chaque vendredi après les cours, je rejoins Simon, le frère de Vincent. Je lui donne des cours particuliers afin de l'aider à passer son bac. Ses leçons se déroulent uniquement à la maison depuis son accident. Il a redoublé durant l'année du drame et, à présent, je l'épaule pour rattraper son retard. Ça s'est fait tout seul. Quand Vincent est parti, je suis souvent retourné chez lui dans l'espoir d'avoir de ses nouvelles. Je le faisais avec discrétion, sans vraiment le demander. Au final, je n'ai jamais réussi à avoir le moindre renseignement, à l'exception qu'il semble bien se porter.

Puis, Simon a très vite compris mon petit jeu. C'est là qu'il a deviné que mon objectif premier n'était pas d'aller à la pêche aux informations. Elles n'auraient rien changé à la situation. Je ne serais pas parti à sa recherche et il ne serait pas revenu pour autant. Je désirais juste garder un contact avec lui, peu importe le moyen.

Simon m'a proposé de venir un vendredi sur deux. Ainsi, je pouvais lui rendre service tout en satisfaisant mon besoin d'être proche de Vincent sans avoir à trouver d'excuses bidons. En fin de compte, ça m'a suffi au point où nous n'avons quasiment jamais évoqué le sujet. Être dans sa maison, entouré de son odeur, est mon seul remède contre le manque de sa présence.

À la longue, c'est devenu un rituel avec la famille Belvio. Catherine, sa mère, prépare des muffins aux pépites de chocolat. On les déguste accompagnés d'une tisane au miel avant de nous mettre sur les révisions. Je suis toujours accueilli chaleureusement et quand Catherine me demande si j'ai réussi à contacter Vincent, je réponds chaque fois que c'est le cas. Je crois qu'elle pense que nous sommes amis, du moins, elle ne m'a jamais laissé présumer autre chose. La vérité est que je ne sais même pas si j'ai pu être une exception et si sa mère est au courant de ses préférences quant à sa sexualité.

Tout ça me convenait durant ces cinq derniers mois. Mais aujourd'hui, tout est différent. Si je souhaite aller de l'avant, il faut que je me détache de ces habitudes qui ne font que me maintenir proche de lui. Avec le temps, j'ai appris à apprécier sa famille. Leur annoncer que ce sera le dernier vendredi où nous prendrons le goûter ensemble me sera difficile. Je ne veux pas leur faire de la peine, mais c'est nécessaire pour que je respecte ma charte.

Un soupir que j'expire s'évapore en de la fumée vers le ciel. La nuit surplombe peu à peu la ville alors que je passe par la place de l'église. Je m'arrête face à elle et lève le visage vers le grand clocher. Mes yeux dérivent vers la petite allée qui mène derrière le bâtiment. Ce lieu même où il m'a annoncé qu'il m'aimait et où j'ai pu le lui avouer pour la première fois.

Mon cœur est soudainement serré dans ma poitrine. C'est ici que je décide du prochain chemin de ma vie. Et pour ça, je dois d'abord m'assurer d'une chose, au risque de le regretter pendant le restant de mes jours.

Je contourne la structure jusqu'à rejoindre notre endroit secret et prends place sur le banc en bois froid devant une ancienne librairie abandonnée. Là, je sors mon portable et retourne dans mon historique d'appels. Mes yeux fixent les trois secondes de communication que j'ai pu avoir avec la voix qui a décroché la dernière fois que j'ai appelé Vincent. Mon doigt est suspendu au-dessus, tremblant face aux idées malheureuses où cet essai pourrait me mener.

Il faut que je sache si c'était toi.

Et s'il avait refait sa vie ? Suis-je en droit de venir remettre le désordre dans ce qu'il aurait pu construire depuis qu'il s'est enfui je ne sais où ?

Plus fort que ça, tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant