Chapitre 1 › Le bruit de ma peine

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    — Allan !

    À l'entente de mon nom crié du bas des escaliers par ma mère, mes yeux se relèvent de mon écran sur lequel je scrolle la page d'accueil d'un réseau social. Bien que je n'aimais déjà pas cette habitude auparavant, celle-ci m'est devenue insupportable ; me ramenant sans cesse au début de cet été qui a changé ma vie.

    Je suppose que, pour elle, cela raisonne comme une époque où elle pensait que son fils n'avait aucun problème. Pourtant, aujourd'hui, cet appel annonce l'arrivée de l'homme qui concrétise le fait que moi, son fils, n'est pas le petit garçon pur et délicat qu'elle croyait que j'étais.

    Lasse, je délaisse mon téléphone entre les draps de mon lit défait après une énième insomnie. Je me traîne jusque dans les escaliers, me tenant à la rambarde en bois. Là, j'inspire un grand coup avant de descendre jusqu'au rez-de-chaussée.
    Comme par timidité, je scrute la cuisine ouverte et y avise Adeline, son Ricoré devant elle et le journal du jour. Un rictus incontrôlé se dessine sur ma bouche.

    — Ciao, Nonna, come stai ?
    Elle redresse la tête dans ma direction et me sourit de tout son dentier.
    — Tesoro ! Sto bene.

    Je la rejoins et scrute un court instant les mots croisés qu'elle a entamés, tout en passant mon bras autour de ses épaules afin de l'étreindre. Mon crâne se blottit sur le dessus du sien tandis que sa tempe repose sur ma clavicule. À son tour, elle enlace mes hanches. Nous restons un instant ainsi, silencieux. Je m'autorise à fermer les yeux, bercé par l'amour de ma grand-mère. Puis, son accent roulant les r et déformant les u en « ou » brise la sérénité dans laquelle je m'étais enveloppé :
    — Tu te sens prêt ?
    Sa main caresse le bas de mon dos, mais n'empêche pas la boule d'angoisse de se former au creux de mon ventre.
    — Pas encore, mais je vais essayer.
    — Prends ton temps, tesoro, me rassure-t-elle.

    Nous allons repartir dans une étreinte quand la sonnette de la porte d'entrée retentit dans la maison et me provoque une crampe à l'estomac. Mon cœur se met à battre plus fort dans ma poitrine et, avant même que l'homme ne soit entré, ma gorge se noue, me confirmant qu'elle n'est pas prête à parler.

    Les talons de ma mère se précipitent jusqu'à la cuisine, on croirait presque qu'elle est pressée de me mettre au pied du mur.
    — Ah, tu es là, s'étonne-t-elle, comme si elle n'avait pas l'habitude de me voir en dehors de ma chambre.
    — Mmh, marmonné-je sans grand intérêt.

    Je reste auprès d'Adeline lorsque la porte s'ouvre sur l'homme charismatique qu'est Arthur, mon magnétiseur. Il échange une poignée de main et de banales formules de politesse avec ma génitrice. Quant à moi, je recule d'un pas, l'observant. Ce n'est pas la première fois que je le vois. Tous les mois, nous avons rendez-vous pour faire un bilan. Cependant, à chacune de ses visites, j'ai l'impression qu'il est plus grand que la dernière fois. C'est un homme intimidant, brun aux cheveux courts, avec une barbe de deux jours et un large sourire qu'il ne se prive pas d'afficher. Il tient dans sa main un sac en forme de vieux cartable. En dehors de ses Runes, qu'il utilise parfois lorsque nous discutons, je n'ai aucune idée de ce qu'il y cache. Je me suis souvent demandé ce qu'il pouvait bien contenir.

    — Bonjour, Allan, comment vas-tu ? amorce-t-il à mon intention, me sortant de mes songes.
    J'avale difficilement ma salive et me force à esquisser un léger sourire avant de hausser les épaules.
    — Bonjour. Ça va.
    Menteur.

    Ma mère fait le tour de l'îlot central tout en invitant Arthur à s'asseoir, mais celui-ci refuse, comme il rejette la proposition d'une tasse de café – ou autre. Pourtant, ma mère s'obstine à lui proposer une à chaque visite.

Plus fort que ça, tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant