1. Warren

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Je me rends vers la porte d'entrée en traversant le salon, croisant le regard de ma mère. Il fut un temps où elle était belle, du moins, c'est ce que l'on raconte. Pas au point d'égaler les Blacks, mais suffisamment pour attirer un peu plus les regards sur elle. Il fût aussi un temps, où elle était la Potiche des Délinquants. Je reviendrai plus tard sur ce terme. 

Aujourd'hui, il ne reste que les vestiges de son ancienne splendeur. C'est une réalité amère. Ma mère semble privilégier la dépense de son argent dans la drogue plutôt que de consacrer une pensée, même minime, à la nourriture de ses propres enfants. Je tiens à dire que ça fait trois jours qu'on mange que du pain dur et j'avais hâte de reprendre les cours - la cantine est gratuite et on mange largement mieux qu'à la maison. 

Nous avons toujours été relégués au second plan.

Ici, avoir un enfant est plus une malédiction qu'un don du ciel. 

Pourtant, malgré tout, je reste persuadé que je peux devenir riche et célèbre, et ainsi rendre ma mère heureuse. On m'a toujours vanté mes talents de commercial, affirmant que j'avais le sens de la tchatche, que je pouvais vendre n'importe quoi, que j'étais sociable et sympathique, et qu'il me serait facile de charmer même une Black.

Le hic, c'est que je n'ai jamais vraiment côtoyé de Blacks. Ils ne traînent pas dans notre quartier par peur de représailles. Ma seule chance serait de m'inscrire à l'Event des Blacks, d'engager des conversations avec les organisateurs, de les charmer et d'espérer attirer leur attention. Cependant, ce genre d'évènement coûte cher, et si on apprend que j'ai été à l'Event des Blacks, je me fais descendre à la minute où je rentre chez moi.

Je préfère postuler sur le net, c'est moins risquer. 

En ouvrant ma porte d'entrée, je suis frappé par la fraîcheur du vent, notre quartier est marqué par des années de négligence. Les façades décrépites des bâtiments témoignent du passage implacable du temps, tandis que les rues pavées inscrivent notre quartier dans la catégorie des endroits les plus laids au monde. 

Je tiens aussi à souligner que nous vivons dans une véritable déchèterie géante, où la surconsommation des Blacks  pollue notre ville. Leurs déchets sont envoyés ici, au-delà de leurs frontières, nous donnant l'impression d'être traités comme leurs déchets. C'est une réalité triste, mais c'est ainsi que se déroule la vie à Castle Moon. Nous évoluons parmi les déchets, et pour ceux qui ont de la chance, il arrive parfois que nous trouvions des bottes ou des vestes de créateurs abandonnées sous les tas d'ordures.  C'est assez fou de constater qu'ils jettent souvent des objets magnifiques et souvent en bon état.

Chaque trouvaille inattendue parmi les débris représente une petite victoire, une occasion de se sentir un peu moins misérable. On peut se dire qu'on peut se faire un peu de fric en vendant ce qu'on a trouvé. 

Bref, les passants déambulent avec des regards fatigués. Certains avancent d'un pas déterminé, tandis que d'autres traînent comprenant qu'ils n'ont plus d'espoir. 

Je m'installe dans ma vieille voiture et démarre. Je sais qu'ici beaucoup de personnes n'ont jamais  explicitement discuté de leurs aspirations avec leur entourage. Moi, je fais confiance à ma bande d'amis, on est unit par la perte d'un proche à cause des Délinquants. 

Dans notre monde, l'amitié et l'amour sont des denrée rare, tout le monde se balance, prêt à tout pour de l'argent et des avantages. 

Je passe devant une voiture de police. À l'intérieur, je vois sur la banquette arrière un jeune gars. J'imagine qu'il va être conduit aux mains des Délinquants. Comprennez que même la police obéit aux Délinquants... 

BrisésWhere stories live. Discover now