Prologue - Paul

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Some of them want to abuse you Some of them want to be abused

Certains d'entre eux veulent abuser de toi Certains d'entre eux veulent être abusés

Sweet dreams— Marilyn Manson

Je suis là, comme un con, menottes aux poignets. Dans quelle merde je me suis fourré ? Pire encore, qu'est-ce que je lui ai fait ? Je me retiens de frapper ce flic, de défoncer cette portière de voiture, d'aller la retrouver. Je ferme ma gueule et baisse ma tête pour entrer dans le véhicule de patrouille. Les gars en uniforme prennent place devant et une grille de protection me sépare d'eux.

Le moteur démarre et nous partons. Je ne me retourne même pas pour voir notre appartement s'éloigner. Notre ? Mec, ça fait déjà un moment que ce n'est plus chez elle, ici. Putain, mais pourquoi c'est toujours pareil ? Pourquoi je dois toujours tout détruire ? Je mords ma lèvre inférieure jusqu'au sang, pour ne pas hurler, pour ne pas passer pour un taré.

Je veux convaincre qui là ? Je suis un taré. Un gros malade.

Un goût de fer envahit ma bouche. Je laisse retomber ma tête en arrière et ferme les yeux pour empêcher les larmes de couler. Du dégoût, de la haine, de la colère. Mon oncle avait raison. Lui, un alcoolique qui passait son temps à me frapper. Putain, il ne pouvait pas tomber plus juste. Je suis un démon.

Mes pensées divaguent. Mes parents, Lisa et elle. Il s'en est fallu de peu. Est-ce que j'aurais pu la tuer ? Cette supposition me glace le sang, je rouvre les yeux en panique et tourne la tête vers l'extérieur.

La pluie s'échoue contre la vitre et la nuit est déjà bien là. J'observe mon visage qui s'y reflète. J'ai maigri, mes joues sont creusées et mon regard est habité d'un éclat de folie. Je suis presque sûr que mes yeux bleus doivent à présent être rouges. Mes cheveux, quant à eux, ont poussé. Les racines brunes apparaissent et me donnent un air encore plus négligé.

Je détourne la tête, ne supportant plus de me voir. Une tempête interminable a éclaté depuis bien trop longtemps en moi, je ne sais même plus ce que c'est d'être calme. Je suis comme un bâton de dynamite, une seule petite étincelle et tout explose. Voilà, c'est ça. Je suis prêt à exploser.

La voiture s'arrête brusquement et mon visage vient percuter les grilles. Les connards, ils ne m'ont pas attaché. Le fer du grillage me rentre dans la peau et la bosse qui se trouve sur ma pommette me lance. Il ne m'a pas raté, ce con. Chris... Mes poings serrés dans mon dos tentent de briser les menottes. Mon regard dans le rétroviseur croise celui du connard qui conduit. Toi, tu ne perds rien pour attendre, pensé-je alors que ce con affiche un sourire mesquin.

J'imagine dans ma tête mille et une façons de le tuer. Je l'éventre, le dépèce, le dépouille. Un sourire malsain naît sur mon visage. Je continue de le fixer et le sien disparaît. Il déglutit difficilement. Ils me prennent pour un taré, alors je joue le jeu, si ça peut leur faire plaisir. De toute façon, ils ne comprendraient pas ce qui se passe réellement en moi. A quel point je ne suis pas fou, mais juste complètement brisé.

Le reste du voyage se passe sans encombre, plus de sale coup, plus de mépris. Même enfermé à l'arrière, je leur fais peur.

Arrivés au poste, on me conduit en cellule, seul, isolé de tous. Personne n'est là pour me casser les pieds et c'est tant mieux. Je passe la nuit à regarder les fissures au plafond, à contempler les barreaux et à imaginer ce qu'aurait pu être ma vie si tout s'était passé différemment. Eux, ils seraient toujours là. Depuis qu'ils ne sont plus là, ma vie est foutue. Tu l'as foutue en l'air tout seul ! Putain de conscience.

***

Je n'ai pas dormi, je ne sais pas quelle heure il est, mais la matinée est sans doute bien avancée. Ma colère est retombée, partie, oubliée, mais jusqu'à quand ? Jusqu'à la prochaine étincelle. Elles ne sont jamais loin, ces putes.

Un mec en uniforme se pointe devant ma grille.

— Ton avocat est là, m'annonce-t-il.

— Je n'en ai pas.

— Commis d'office, me dit-il pour seule explication.

Génial, si c'est comme dans les séries américaines, je ne suis pas dans la merde. Le flic ouvre la porte et je sors de ma cellule. Je me retrouve alors face à deux autres flics.

— Sérieux, les gars ? Trois ?

— Tais-toi et avance, me dit flic Numéro Un, en me poussant dans le dos.

Ils ne me menottent pas mais ils restent collés à mes fesses comme si je pouvais me volatiliser à tout moment. Les flics me conduisent à travers un couloir et, soudain, mon corps se fige. Mes pas s'arrêtent à la vue de sa silhouette. Elle est là, seule. Pas de Chris à l'horizon. Je la fixe, cherchant à attirer son regard. Pour quoi faire ? Lui dire pardon ? Que je l'aime ? Je ne sais même pas ce que je voudrais lui dire. Elle avance dans ma direction mais je suis incapable d'ouvrir la bouche. Ses cheveux sont ramenés vers l'avant. Mais je sais ce qui se cache dessous, je sais que mon couteau a entamé sa peau. Beaucoup ? Non, mais juste assez pour qu'elle s'en souvienne.

Elle passe à côté de moi, mais ne relève pas la tête. Est-ce qu'elle me voit ? Quand elle passe devant moi, ses paupières sont serrées, comme si elle voulait que je disparaisse. Oui, elle sait que c'est moi. La scène se passe au ralenti, mon cœur est sur le point de sortir, j'inspire son odeur, son parfum de cannelle tandis qu'elle s'éloigne. J'essaie de le mémoriser. Je sais que je n'aurais plus jamais l'occasion de le sentir. Je ferme les yeux à mon tour et je me concentre sur le bruit de ses pas qui faiblit. Tap, tap, tap, tap, tap, tap, tap...

Flic Numéro Deux me tire par le bras pour que j'avance, alors je poursuis ma route. Un de mes trois mousquetaires ouvre la porte d'un bureau et me pousse à l'intérieur. Un mec en costard s'y trouve déjà et mon unique issue se referme derrière moi.

— Monsieur Barre, je suis votre avocat, Maître Louisou.

Il me tend sa main, mais je ne la saisis pas. Il se racle la gorge et ne me semble pas gêné, il doit avoir l'habitude. Il tire une chaise et s'y assied. J'observe la pièce. Des murs défraîchis, un plafond décoré d'auréoles de moisissure, la lampe grésille. La pièce compte pour tout mobilier une table en fer et deux chaises. Mon regard se pose sur l'avocat, il est jeune, pas plus de trente ans, je pense, un nouveau-né dans ce monde-là.

— Le témoignage de votre ex-petite-amie vous sera favorable.

Je ris, en levant les yeux au ciel. Favorable ? Ex petite-amie ? L'avocat relève la tête vers moi, un brin agacé.

— Nous avons pu négocier avec le juge, trois ans en institut.

Institut ? Je le regarde, mais ne bouge pas. Rien ne trahit ma colère. Il m'observe et se redresse doucement comme s'il savait ce qui allait se produire. La voilà l'étincelle, celle que j'attendais. Celle qui me ranime et me transforme. Je la laisse prendre le contrôle et agrippe la chaise vide par le dossier avant de la balancer contre le miroir sans tain, en hurlant :

— MAIS ALLEZ TOUS VOUS FAIRE FOUTRE ! TOUS ! TOUS ! TOUS !

La porte s'ouvre à la volée et on me saisit par le col. En quelques secondes, je me retrouve plaqué au sol. Quelqu'un tire mes bras en arrière et me passe les menottes, tandis que je continue de hurler. Ma gorge me brûle et, putain, je voudrais tous les tuer. Je ferme les yeux et me retiens de ne pas me fracasser le crâne sur le sol, de ne pas en finir tout de suite. Je sens alors une piqûre dans mon bras, je rouvre les paupières et tourne la tête. Deux mecs en blanc sont là, à genoux devant moi.

— Les effets vont être rapides, indique l'un des deux aux flics.

Ma vision commence à se troubler et les images se succèdent dans ma tête. Eux, elle, Clara... Plus jamais. Plus jamais, non.

After the fallWhere stories live. Discover now