Chapitre 5

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Mauzzag fit un saut chez lui avant d'aller voir Krus Kriskuss. Il n'était pas inquiet pour son magasin, Zgwirg se débrouillerait très bien. Il nota l'adresse sur un bout de papier, prépara son discours, se changea pour enfiler des vêtements plus chics. Sa femme entra dans la maison, tenant sa fille par la main.

- Qu'est-ce que tu fais ici en pleine journée ? demanda-t-elle d'un ton accusateur. Tu n'es pas à ton magasin ? Tu sais que la petite a encore perdu un kilo ? Nous n'avons plus rien à manger, et toi tu rentres en pleine journée te reposer ?

- Bien sûr que non ! Je... J'ai subi un vol. Enfin, pas vraiment un vol, mais... Le tableau que j'ai acheté hier... On me l'a pris ce matin.

- Comment ? Le tableau qui devait nous sauver ? Ce n'est pas possible ! Tu as vu ce qu'il reste dans le garde-manger ? Plus qu'une pomme et trois poissons séchés. Encore du lutjan à longues mâchoires, évidemment. Le moins cher et le plus fade de tous les poissons. Je n'en peux plus !

- Ne t'en fais pas, je m'occupe de tout. À ce soir.

Il sortit, passa devant son magasin pour donner quelques mots d'encouragement à Zgwirg et prendre un objet au hasard. Il essaierait de l'échanger contre le tableau.

Pour aller chez Krus Kiskuss, il fallait monter. Baie-Du-Butin était construite de manière verticale, les maisons s'empilaient les unes sur les autres, posées sur des grandes plateformes en bois qui formaient plusieurs niveaux de hauteur dans la ville, comme les étages d'un immeuble.

Ces différents étages étaient soutenus par d'énormes poteaux et piloris, eux aussi en bois, placés partout dans la ville. On les voyait sans cesse quand on marchait, on les contournait, on écrivait dessus, les enfants s'amusaient à les escalader.

Ces interminables plateformes et pontons en bois, serpentant les uns sur les autres à travers la ville, étaient si nombreux qu'ils formaient autant de petits plafonds couvrant en partie les rues des niveaux inférieurs. C'était particulièrement pratique lors de la saison des pluies, on pouvait faire une partie du chemin en passant sous ces passerelles. Il y avait bien entendu de nombreux trous dans les planches, et l'eau ruisselait violemment sur les côtés, mais cela atténuait malgré le désagrément des moussons.

Ajoutez à cela d'innombrables escaliers pour monter d'un étage à l'autre, des poutres et des passerelles pour relier les plateformes, et vous obtenez Baie-Du-Butin : un dédale incompréhensible de bois, de planches, de poutres et de clous dans tous les sens pour les fixer les unes aux autres.

Pour finir le tableau, des filets et des rampes en cordages sécurisaient les passerelles. Le panorama de la ville faisait penser à une sorte d'énorme navire déstructuré.

En montant, Mauzzag profita de la vue. D'un côté, il y avait la mer, avec les mouettes qui planaient et virevoltaient dans les airs en chantant à tue-tête, et de l'autre la grande falaise et les cascades à travers lesquelles le fleuve de Strangleronce se jetait dans l'océan.

« C'est beau, en haut, se dit-il. Une jolie vue, pas de foule qui se presse dans tous les sens, pas de tire-poche qui subtilise les bourses... C'est sympathique de faire partie du Cartel Gentepression. »

Il arriva devant la demeure des Kiskuss. Chose très rare, elle avait un petit jardin avec quelques palmiers. Devant la grille, deux gobelins armés vinrent vers lui.

- C'est pour quoi ? demanda l'un d'eux.

- Je suis Mauzzag, commerçant d'art réputé à Baie-Du-Butin. Je viens parler affaires avec monsieur Kiskuss.

- On ne te connait pas. Dégage.

- J'ai vendu un tableau d'Outreterre rarissime à monsieur Kiskuss ce matin. Il est ravi de cette acquisition et je souhaite à nouveau discuter d'art avec lui. Il serait fort contrarié que vous m'empêchiez de passer.

Jungle et Pirates: La Vie d'Un Marchand À Baie-Du-ButinWhere stories live. Discover now