6. Oratio aurea - partie 2

Depuis le début
                                    

Il n'y avait bien que ceux qui n'ont plus rien à perdre pour oser de cette manière. Pourtant, l'attitude de Fatiha, l'autre zonarde, semblait montrer qu'elle n'était pas de son côté.

— Tu dis ça parce qu'il n'y a personne à qui tu tiens vraiment, dit Enzo. Si tu avais perdu des proches à cause de quelqu'un, tu voudrais qu'il paie pour ça.

— Non. Pas comme ça ! répliqua Elliot avec une assurance qui surpris Irène. J'aime mes parents. Mon grand-père et moi sommes très proches et j'ai trois petites sœurs. Je vendrais mes organes pour eux, pour chacun d'entre eux. Mais si quelqu'un les tue, je ne chercherai pas ça.

Un mouvement circulaire de ses yeux sembla désigner son environnement, si bien qu'Irène se demanda s'il parlait toujours de la peine de mort ou s'il désignait également l'émission tout entière.

Ça serait la pire chose que je puisse faire pour leur mémoire. Jamais je ne voudrais la mort de mes ennemis. Je le sais.

— C'est n'importe quoi, commenta Enzo.

Les commentaires dans le cercle se firent agressifs. « Moi, je n'aimerais pas t'avoir comme frère », « Sale tordu ».

— On se calme, intervint Marc, Elliot a le droit de s'exprimer.

— Mais ce qu'il dit est vraiment incorrect, se plaignit Victoria.

— Laissez-le poursuivre.

— Je pense juste que ce n'est pas possible que je sois là pour la vengeance.

— Il y a aussi l'argent, proposa Jordan, pragmatique.

— Ça ? Ça ne m'intéresse pas non plus. Ma famille se débrouille bien comme elle est. Je ne voudrais pas qu'on me donne 100 000 francs contre la mort de quelqu'un. Ce n'est pas mon genre.

— Donc, tuer quelqu'un, ce n'est pas ton genre ? insista Irène.

— Non, répondit-il en la regardant directement. Sa frange rabattue sur le côté, elle distinguait parfaitement ses sourcils bas et ses yeux brun foncé. Plus fuyants du tout, à présent.

— Mais si tu n'es pas une victime, alors tu es coupable. Coupable d'un crime grave. Sûrement. Tu es contre la peine de mort, mais tu te positionnes dans le groupe des assassins ?

Il y eut des signes d'adhésion parmi les autres détenus. Eliott pinça les lèvres. Touché. Mais il ne baissa pas le regard.

— Je ne sais pas comment expliquer ça. Je n'aime pas le principe de cette émission. Et tout ce que je sais, c'est que la seule chose qui aurait pu me forcer à participer : c'est de devoir sauver ma peau. Si je dois faire une émission télé que je déteste pour éviter la corde alors, je signe sans hésiter ! Je sais que c'est la raison pour laquelle je suis là. Je ne sais pas ce que j'ai pu faire, mais je pense que je suis là pour survivre.

Irène venait de recevoir une gifle. Elle aussi détestait ce jeu. Elle sentit ses convictions se fissurer. Innocente ? Coupable ?

— Vous voulez ajouter quelque chose ? demanda l'animateur.

Elliot secoua la tête et retourna à son mutisme. Apparemment, le débat sur la peine de mort prenait fin, ce qui encouragea Marc à présenter le prochain exercice. Il allait faire circuler un téléphone parmi eux. Une application leur poserait une question aléatoire et ils auraient une minute pour y répondre.

Iphigénie reçut les premières instructions : on lui demanda de parler de la personne la plus âgée qu'elle connaissait. Elle décrivit une centenaire sur son lit de mort qu'elle n'avait jamais rencontré avant son enterrement.

Les questions suivantes, comme la première, se révélèrent d'un assez faible intérêt. Au moins étaient-elles inoffensives ? Guillaume dut décrire la vue de sa chambre et Fatiha son dernier trajet en train.

— C'est une blague ? s'énerva-t-elle.

— Non, pourquoi ?

— Comment voulez-vous que je vous parle d'un voyage en train ? Je n'ai jamais pris le train de ma vie. J'habite dans la zone, je n'ai jamais eu l'occasion de beaucoup voyager...

Elle refusa d'ajouter un seul mot après ça, s'enfermant dans un silence obstiné. Même si cette question inappropriée semblait justifier son manque de coopération, Irène supposait que le résultat aurait été le même quelle que soit la proposition. Fatiha n'aurait pas décroché un seul mot la concernant devant des traditionalistes.

Marc se leva pour reprendre le téléphone et le transmettre à Irène. Elle observa l'écran avec une appréhension montante. Les trois premières questions n'étaient pourtant pas embarrassantes. Mais cette situation lui rappelait de mauvais souvenirs. Des interviews incessantes et creuses. Des caméras qui enregistraient ses tics. Des micros qui immortalisaient ses faux pas. Oui, elle avait toujours détesté se voir à la télé. Les objectifs accentuaient ses défauts et ses failles crevaient l'écran.

Cette fois-ci ne serait pas différente, tout le monde jugerait sa performance et elle risquait une fois de décevoir. L'éloquence n'avait jamais été son point fort.

Elle déglutit. Puis, à contrecœur, effleura l'écran. Des lettres se formèrent sous ses yeux et la laissèrent perplexe ; elle n'avait jamais réfléchi à ça.

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant