Chapitre 1 › Le bruit de ma peine

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    — On ne va pas perdre de temps et y aller, annonce-t-il.
    Il se tourne vers moi et m'interpelle :
    — Qu'en dis-tu, Allan ?
    — Finissons-en, psalmodié-je.

    Ma mère s'empresse d'excuser mon attitude auprès d'Arthur, tout en glissant une main dans mes boucles qu'elle ébouriffe. Pourquoi ressent-elle le besoin d'excuser mes émotions ? Pire, d'excuser qui je suis. Le magnétiseur, lui, garde un rictus scotché à sa bouche après ma réponse. Ça a le don de m'énerver et me donne la sensation qu'il avait deviné ce que j'allais dire.

    — Très bien, allons-y, conclut-il.

    Je connais le rituel. Pendant qu'il retourne à sa voiture pour aller chercher une grande table noire pliante qui ressemble à celle des masseuses, je me rends dans le salon où Adeline et ma mère ne pourront pas nous déranger ni nous entendre. Contrairement à Nonna, Maman n'est pas au courant concernant ma relation avec Vincent, encore moins du jour où il m'a lâchement abandonné fin août, il y a un peu plus de cinq mois.

    Tout ce qu'elle sait, c'est que j'ai des difficultés sociales et du mal à gérer mes émotions. Je n'ai pas voulu entrer dans les détails. Sa première option a été de me proposer de consulter un psychologue ; ce que j'ai accepté. Je n'ai pas aimé cette approche, je me sentais malade et ce sentiment m'enfonçait plus qu'autre chose. J'étais sous médicament soi-disant apaisant, déstressant. En bref, la médecine m'a zombifié. J'avais du mal à suivre mes cours à la fac, ma créativité s'était envolée, je ne parvenais plus à m'endormir sans tranquillisant.

    Il faut dire que je n'arrivais pas à m'ouvrir à ce professionnel, sans que cela soit sa faute. J'étais bloqué, il était impossible pour mon psychologue de m'aider dans mon malheur et il a sûrement voulu m'apaiser à coup de cachets.

    Que pouvait-il bien faire d'autre, après tout ? Lui et moi aurions été décédés bien avant que je ne parle de mes problèmes.

    C'est comme ça, certains thérapeutes ne peuvent rien pour nous, car ils ne sont pas ceux pour lesquels nous ressentons l'envie de nous ouvrir. Peut-être aussi ne voulais-je pas guérir, mais simplement continuer à faire vivre Vincent auprès de moi à travers ma douleur.

    J'ai donc continué à faire des crises d'angoisses très régulières, toutes plus fortes les unes que les autres. Cela se passait partout, à n'importe quel moment, ça venait comme une envie de pisser, sans prévenir : à la fac, durant mes insomnies, pendant mes lectures, avec mes amis, en dîner de famille, en me réveillant, en me douchant...

    Puis, un jour, cette pensée que je redoutais tant m'a traversé l'esprit : si c'est pour vivre ainsi, dois-je mettre fin à mes jours ?

    Ça m'a terrorisé.
    Ce jour-là, j'ai eu peur de moi.

    J'ai immédiatement été réveiller Adeline pour lui demander d'appeler son magicien de l'énergie auquel je ne comprenais rien, mais dont elle m'avait parlé. De la médecine douce pour un jeune homme émotionnellement violent. Au point où j'en étais, c'était à essayer, je n'avais plus rien à perdre.

    — Bien, qu'as-tu fait depuis la dernière fois que l'on s'est vu ? m'interroge Arthur, après s'être assis face à moi autour de la grande table du salon.
    — Je ne sais pas.
    — C'est-à-dire ?

    Il sort de son sac une bourse qu'il dépose sur la table et pioche dedans pour en sortir une Rune. À mon tour, je la scrute, sans savoir ce qu'elle informe à mon sujet.

    — Je vais à la fac, je vois toujours les mêmes amis, je traîne dans ma chambre.
    — Et ton sommeil ?
    Il tire une nouvelle Rune.
    — J'ai réussi à dormir quelques heures les trois premiers jours après notre dernière séance.
    — Et depuis ?
    Je marque un silence, puis redresse mon regard en direction du sien.
    — J'ai terminé de lire ma pile à lire qui traîne dans ma bibliothèque depuis deux ans, asséné-je.

Plus fort que ça, tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant