Rat des villes et rat déchu

14. La Grande Vadrouille

" Écrire est la première action d'un homme privé de liberté, j'ai pour preuve les noms des prisonniers gravés sur les murs des geôles. "

Cleo n'aurait su dire où elle avait entendu cette phrase, alors qu'elle lui revenait en tête. Et même si elle lui trouvait une certaine beauté poétique, elle ne la trouvait pas vraie pour autant.
Elle ne se voyait pas parmi ces prisonniers qui, jour après jour, traçaient sur les murs de leur cellule des ensembles de traits épars, ne serait-ce que pour conserver la notion du temps qui passe.

Ces derniers jours, elle n'avait pas eu la notion de grand chose.

Elle se fichait bien de savoir ce qu'il se passait à l'extérieur. Que pouvait-on avoir à faire de ce que devenait un monde qui vous avait toujours rejetté ? Les gardiens avaient sans doute dû se croire grand princes à lui proposer de lui amener des journaux pour accompagner sa nourriture quotidienne, mais la jeune femme avait refusé.
Elle ne voulait pas de leur pitié. Ils n'en avaient pas eu jusqu'ici, pourquoi feraient-ils semblant tout à coup ? Ce qui se passait en dehors de sa cellule blanche ne l'intéressait pas.

Et quant à ce qui l'intéressait...

Cleo enrageait à l'idée de rester là, impuissante, sans même savoir ce qu'il advenait du peu d'amis qu'elle avait.
Dubois et Nanaue avaient été capturés, eux aussi, et réintégrés de force dans les rangs de la Suicide Squad. Mais ce n'était pas ça qui la rendait folle. La simple idée de savoir qu'ils pouvaient à tout moment être envoyés de nouveau en une mission absurde dont ils avaient toutes les chances de ne pas revenir, et ce sans même qu'elle n'en ait jamais connaissance faisait monter en elle une colère épouvantable. Une de ces colères sourdes et froides, qui ne demandait qu'à sortir mais que, par orgueil, elle gardait pour elle.

Elle avait cessé de pleurer.

Elle en avait assez de passer pour une gamine pleurnicharde. Elle n'avait jamais cherché à cacher ses sentiments et ses émotions, et même lorsqu'elle y était obligée, c'était encore quelque chose qu'il lui était très difficile de faire naturellement.
Mais sa dernière entrevue avec Smith lui avait fait prendre conscience de certaines choses.
Elle ne l'avait plus revu depuis la dernière fois. Et pourtant, ses mots continuaient inlassablement à tourner dans sa tête.

« Je n'ai pas tué ton gars, parce que j'en avais pas envie.

C'était précisément ce qu'il lui avait dit. Et elle se souvenait également très bien de sa réaction.

- Oui, t'en avais pas envie...je suppose que c'est pour ça que tu n'as tiré qu'une seule balle, tu n'avais sans doute pas envie d'en gaspiller pour lui.

- Je l'ai touché à l'épaule. Aucun organe vital. Ce tir n'était pas mortel.

À cet instant, Cleo n'avait eu aucune idée de pourquoi Smith lui disait ça. Était-il à ce point sadique qu'il venait prendre du plaisir à lui faire espérer que Jay soit toujours en vie ?

- Il est tombé, avait-elle répliqué, en bas, dans la rue. Je l'ai vu tomber Smith.

Face à elle, le mercenaire avait soupiré. Et quelque chose dans son regard laissait presque penser à Cleo que ses paroles n'étaient pas totalement fausses, tandis qu'il s'était doucement appuyé sur le verre de sa cellule.

- On a bossé ensemble Cleo. Tu m'as vu faire...ce que j'ai fait là bas. Et tu sais que je suis juste un crétin qui aime se vanter de la façon dont il sait tuer des gens. Alors si je te dis que je l'ai pas tué, tu peux me croire...si ton petit copain est suffisamment costaud, alors il doit être encore en vie. Et moi, je pense qu'il l'est.

À mesure qu'il parlait, Cleo avait jeté un œil à la caméra de la pièce, persuadée de la voir pointée sur elle.
Il était impossible que Christopher Smith, le redoutable Peacemaker, se montre aussi sincère devant elle, et sur quelque chose qui lui tenait autant à cœur que de tuer des gens. Elle croyait sincèrement à une caméra cachée particulièrement cruelle de la part de Waller.