Rat des villes et rat déchu

Prologue - Faux départ

"On s'fout de la mise en page, ensemble on vit dans la marge
Et si les fous nous taxent de faux, dis moi au fond qu'est-ce qu'ils en savent.
[...]
Et quand l'orage éclate, et qu'on se retrouve à court d'abri
On aboie en silence dans nos voyages au bout d'la nuit."

- Gringe, On aboie en silence

***************

Des cris, des larmes, du sang, des rats, des morts, et une étoile de mer extraterrestre géante avec un unique œil immense.
D'ordinaire, Cleo Cazo dormait d'un sommeil sans rêves.

Et elle aurait préféré que cela continue.

Mais si elle était honnête avec elle-même, celle que le monde connaissait sous l'identité de Ratcatcher 2 devait bien avouer que son sommeil, si profond d'habitude, n'avait jamais été aussi instable.
Et les rêves chaotiques qu'elle y faisait n'en étaient même pas entièrement la cause. Ça aussi, elle se l'était avoué très tôt. Et ce n'était pas quelque chose dont elle était fière.

Elle avait peur.

Elle, qui avait sauvé quasiment à elle seule une ville, voire un pays entier, d'une menace extraterrestre, vivait à présent dans une peur constante, une de celles que l'on garde tout près de soi, comme une alerte, qui rappellent à chaque instant que chaque sommeil peut être le dernier, et que l'on n'est jamais sûr de voir le soleil se lever le lendemain.
Le genre de peur qui faisait que, une fois encore, Cleo se réveilla bien plus tôt qu'elle ne l'aurait voulu, grimaçant tandis que la fraîcheur matinale la faisait frissonner en ressentant les gouttes de rosée sur sa peau.
Le temps que ses yeux s'habituent à la lumière du soleil levant, elle sentit une légère galopade sur son épaule.

"Bonjour Sebastian. Tu as bien dormi ?

À ses côtés, le petit rat répondit avec un adorable couinement. Ces derniers temps, l'animal était bien le seul à pouvoir former un léger sourire sur les lèvres de sa maîtresse.

- Ça va, merci, souffla Cleo en caressant la fourrure du rongeur, toujours ces cauchemars...

Se frottant les yeux, la jeune femme se leva, et s'étira avant d'aviser le coin de la rue, encore déserte.
Cette fois-ci, elle pouvait se considérer comme chanceuse. Elle avait réussi à dénicher une ruelle suffisamment sombre et froide pour ne pas attirer l'attention, et comble de l'aubaine, elle y avait même trouvé une bâche tendue qui leur avait permis, elle et Sebastian, de s'abriter en cas de pluie. Il n'y en avait certes pas eu cette nuit, mais l'idée d'être protégée d'éventuelles trombes d'eau avait quelque peu conforté Cleo dans son choix.

Pour autant, même si elle avait connu pire, cela revenait au même : une nuit de plus qu'elle passait dehors, dans le froid et la saleté.
À bien y réfléchir, le Corto Maltese n'était que le début.

Cleo en était certes ressortie libre, mais à quel prix ?
Depuis qu'elle n'était officiellement plus pensionnaire de Belle Reve, elle avait passé son temps à fuir.
Elle n'avait pas d'affinités particulières avec la ville de Gotham, mais c'était la distance la plus longue qu'elle avait été capable de mettre entre elle, et celle qu'elle espérait ne plus jamais revoir. Entre elle et ce visage qui hantait ses cauchemars.

Amanda Waller.

Rien que le fait de repenser à ce nom provoquait un frisson dans son échine. Cleo ne se considérait pas comme peureuse, et elle ne craignait personne en particulier.
Mais lorsque quelqu'un avait la capacité de vous faire sauter la cervelle à distance, simplement en pressant un bouton, sans que personne ne puisse jamais se rendre compte de votre mort, cela avait de quoi effrayer n'importe qui.
Savoir que quelque part dans sa nuque, était toujours plantée cette bombe, que la directrice de Belle Reve pouvait décider d'enclencher à tout moment, donnait à Cleo des pensées quasi suicidaires. Si elle s'écoutait, elle aurait déjà demandé à Sebastian de lui ronger la nuque jusqu'à ce qu'elle puisse en arracher l'épée de Damoclès que Waller y avait implantée.