26. Le petit-déjeuner des champions

40 5 9
                                    

Le lendemain est pire. Il s'y attendait.

La souffrance ne le dérange que modérément et provisoirement. Être malaisé dans son propre corps, par contre, n'est pas acceptable. Ses muscles sont si perclus qu'ils lui semblent avoir doublés de densité sous la couche de peau ayant perdue toute souplesse, comme tannée. Pas loin d'insupportable. Il ne peut pas se permettre de baisse d'agilité ou de réflexe.

Cela met Phil en de bien mauvaises dispositions dès le réveil. Après une douche bâclée par ses gestes gourds, il soigne sa plaie, et aspire à endormir sa frustration sous les calories d'un copieux petit-déjeuner.

Sa frustration, oui. Il est pris à son propre piège. Jouer avec Émilie l'a excité plus durablement d'esprit que physiologiquement. Il a envie de baiser. Si la situation ne risque pas de le réduire à mâle basique incapable de former une réflexion au-delà de la ceinture, y remédier rapidement pourvoira à son équilibre. Ça l'apaiserait et le délirait plus agréablement qu'une séance en salle d'entraînement à la garnison.

Écouter ses besoins sans en être tributaire, c'est la base. Et là, il est affamé. Au multiple sens du terme.

Il descend l'étage plongé dans le noir en nouant sa cravate à la seule aide de sa mémoire musculaire. Les escaliers ne sont définitivement pas agréables à emprunter. Heureusement, les points de suture réalisés par Émilie sont ductiles. Sans quoi, son indifférence à l'éventualité de douleurs les ferait sauter en un rien de temps.

Elle a de l'expérience. Ça l'aidera à découvrir son identité.

En attendant, il doit se ménager. Il en a conscience. Une prudence néanmoins oubliée dès qu'il est question de cuisiner. En moins de cinq minutes, son épaule le rappelle trois fois à l'ordre et son abdomen lui hurle en morse de calmer l'intensité de ses mouvements. Il s'envoie sa seconde dose d'antibiotique non sans enrager contre ses faiblesses, et pose sa cigarette intacte sur le flacon avant de se mettre à la préparation des œufs.

« Bonjour. »

Phil ne répond pas à la voix ensommeillée qui approche. Il était écrit qu'il n'aurait pas son moment de détente matinal!

La jeune femme se renfrogne et se drape plus étroitement dans le peignoir trop grand. Il était écrit qu'elle n'aurait jamais droit aux politesses de si bon matin!

Abelone se dirige vers la bonne odeur dégagée par le percolateur et récupère une tasse sous l'îlot au passage. « Oh, bonjour, Émilie! entame-t-elle un monologue à deux voix. Bien dormi... Émilie? Hormis les cauchemars, ça peut aller, Meyer. Et toi? Tu n'as pas crevé d'une hémorragie interne durant la nuit. C'n'est pas de bol ça! T'inquiète, Émilie, il est encore temps pour une septicémie. Toi alors! tu sais exciter une femme! Et sinon, qu'est-ce que tu prépares de bon? Des œufs, Émilie. Tu en veux, Émilie? Volontiers, merci. »

Le militaire lui jette une œillade adoucie, presque amusée, par-dessus le presse-fruit. « Cuits ou crus?

— Qui mange ses œufs crus? fait-elle dans une grimace dégoûtée.

— Des tas de gens, fillette.

— Bien cuit, je préfère. »

Il casse deux œufs de plus dans la poêle crépitante tandis que la jeune femme se hisse sur l'îlot hors de son chemin, et il retourne au fruit dont il tire le jus. « C'est quoi? interroge-t-elle.

— Un pamplemousse.

— C'est comme une orange?

— Exactement. »

Entre deux pressions sur l'écorce, il pousse négligemment le verre à demi rempli vers elle en invitation. Elle ne se fait pas prier. Et, sous le sourire de Phil, regrette aussitôt sa large gorgée. « Connard! » croasse-t-elle dans un rictus aussi amer que le jus. Il rit doucement, tandis qu'Émilie toussote et grigne jusqu'à avoir ajouté une bonne dose de sucre à sa tasse et prit le risque de se brûler. « T'es vraiment un gamin! » Le séduisant sourire s'élargit pour toute réponse. « Je devrais cracher dedans!

Black Bag [Terminé]Hikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin