18. Raflée

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« Qu'est-ce qu'elle ferait dans un crématorium? » balbutie Abelone.

Mauvais augure, Meyer met le couteau de cuisine au lave-vaisselle, hors de sa portée. Elle déglutit audiblement une fois qu'il lui fait face pour la couvrir de son pesant regard scrutateur. « Au sous-sol de la prison. C'est là qu'on brûle les corps. »

Les corps. Peut-être le capitaine a-t-il raison: son crâne est rempli d'eau. Comment expliquer autrement que ces mots résonnent dessous?

Les corps. Tannisa est un corps. Tels ceux qu'ils brûlent au sous-sol de la prison.

Un corps.

« Émilie? » Elle cligne lentement pour se focaliser sur l'homme. Son cœur bat la chamade et sa gorge est contractée sans qu'elle ne soit sûre de savoir pourquoi. « Tu comprends? »

Un terrible frisson lui parcourt le dos. Si brutalement que tout son corps tressaille et se crispe. « Pas encore, souffle-t-elle honnêtement. Mais je sens que je vais avoir envie de te démonter quand ce sera le cas.

— Il faut que je te déconseille d'essayer, trésor, fait-il posément. »

En s'asseyant à nouveau au bord de l'îlot, les mains serrées au bord, elle inspire profondément. Et souffle. Plusieurs fois. Elle cherche à garder son calme et oxygéner ses neurones abonnés absents. Elle a conscience de ne pas être physiquement à la hauteur d'un homme de métier (surtout cet homme), et ne veut pas crever avant même d'en avoir assimilés les raisons.

« Tu l'as tuée?

— Je l'ai raflée. »

Le sac noir. Elle l'imagine sur la tête de sa tante. Et les jumeaux? Par la Déesse! les enfants! C'est ce qui fait déborder le vase et obstrue sa vision aussi sûrement que si ce fut sa propre tête qui disparaissait sous le black bag.

Elle bondit sur ses pieds et sur Meyer.

Le torse de Phil est assailli de coups de poings. Il se laisse faire. L'aveuglement de la jeune femme la rend faible. Elle ne réfléchit pas à l'impact réel de ses attaques. Et puis... Sa haine! Qu'est-ce qu'il aime ça! Des cris indistincts traversent sa gorge étrécie de rage. Il veut les boire à la source. L'embrasser. Faire rouler sa haine sur son palais. Lui mordra-t-elle la langue en représailles? Les lèvres? Ça le fait bander. Le fantasme surpasse le concept de douleur; plus que de ne pas la craindre, il ne la prend pas en compte. Ça n'influence en rien l'érection qui se presse à sa braguette.

Les brèves et lourdes respirations qui lui heurtent le torse s'apparentent à celles d'une femme proche de l'orgasme. L'amorce d'un geste vers elle lui échappe, et elle le gifle en réflexe. Putain, il va la retourner là!

Il n'est pas loin de s'abandonner à sa pulsion quand un objet dégringole entre eux. Il suit des yeux la cigarette qui choit de l'oreille d'Émilie. Elle rebondit sur le sol. Et finit sous le pied piétinant rageusement le sol entre les coups qu'elle lui inflige. Ça! faut pas déconner!

Il saisit la jeune femme aux biceps, lui bloque les bras le long du corps. « Suffit! » rugit-il sans élever le ton. Elle se fige sans cesser de trembler. Les yeux verts le considèrent sans pouvoir choisir entre haine et panique. Elle se souvient à qui elle s'en prend! « J'ai attendu de voir si tu descendrais à 21h30, narre-t-il sèchement sans la lâcher. Je suis monté te chercher à 45. Tannisa m'a dit que tu avais pris peur en voyant les fleurs. Que tu avais fait tes bagages et avait quitté la ville. Je suis parti; je l'ai laissée, pour te chercher.

» Je me suis tapé des centaines d'heures d'enregistrements de surveillance des stations du quartier pour savoir dans quelle direction tu étais partie. Je n'ai examiné la ligne conduisant à ton appartement qu'en dernier recours: la logique voulait que ce soit le premier lieu que j'aurais fouillé, et donc le plus improbable où te trouver en fuite. J'en ai perdu de longues heures.

Black Bag [Terminé]Where stories live. Discover now