Chapitre 2 : le lidinium

Depuis le début
                                    

Je n'ai pas de meilleure explication et suis un peu décontenancée. J'en oublie de chercher le plan. Je m'assois au bout de la table, dans un grand fauteuil de cuir brun. Il est si moelleux que je m'y enfonce d'une bonne dizaine de centimètres. Mes nerfs se relâchent. Je ne suis plus aussi angoissée et j'ai maintenant l'impression d'être l'héroïne d'un film, prête à vivre une aventure excitante. Si je n'avais pas voulu être médecin pour aider Maman, j'aurais sans doute suivi une carrière de chef d'entreprise comme Papa. Facile de m'imaginer ainsi, en bout de table, à diriger, à trancher les décisions, à donner des ordres.

Je prends appuie sur l'accoudoir pour me redresser mais j'ai à peine posé ma main que je la retire. La surface est couverte d'une matière poisseuse qui me laisse une tache brunâtre sur la paume de ma main. Je ne peux m'empêcher de me dire que ça ressemble à du sang. Du sang sec, qui aurait pu sécher pendant des jours mais du sang quand même. Mes cheveux se hérissent sur ma nuque et je frotte ma paume contre ma cuisse pour faire disparaître l'horrible texture dans les fibres de mon jean.

Tout cela est trop étrange. Mon enthousiasme est déjà retombé comme un soufflet et j'ai un mauvais pressentiment. Rester dans cette pièce ne m'apportera rien si ce n'est des ennuies. Je m'apprête à sortir lorsque j'entends des voix dans le couloir. Je me fige par instinct le temps d'analyser le son. Les propriétaires de ces voix sont encore loin. Elles me parviennent comme dans un écho mais je les localise dans le couloir : une pièce vide et longiligne où une seule pièce est ouverte, celle dans laquelle je me trouve. Je commence à paniquer. Aucun moyen de savoir s'ils vont se contenter de passer ou si cette salle ouverte est leur destination.

Je me retourne, prête à tout pour me sortir de ce mauvais pas, même me jeter dans une poubelle s'il le faut. Le nombre de cachettes est limité. Mon cerveau tourne au ralenti et mes jambes de cotons refusent d'avancer. J'ai l'impression d'être dans un cauchemar. À l'extérieur, les voix se rapprochent en se disputant. J'ai chaud comme si je sortais d'une étuve. Je sue et mon corps ce couvre de chair de poule.

Armoire, sous la table, derrière l'étagère ? S'ils me trouvent ici, que vais-je pouvoir leur dire ? Puis-je prendre un dossier sous mon bras et sortir comme si de rien n'était ? Ma tête de bébé ne convaincra personne que je travaille ici. Ils appelleront la sécurité. Je n'ai aucune envie d'aller m'expliquer avec les agents que j'ai pu voir dans le grand hall. La pensée de mes parents envahit mon esprit. J'imagine déjà la honte de mon père et l'incompréhension de ma mère. Que vais-je pouvoir dire à papa ? Encore une fois, je vais passer pour une sotte devant lui alors que j'ai si envie qu'il comprenne que je ne suis plus un enfant, qu'il peut me parler à moi. Qu'il peut trouver en moi l'adulte qu'il ne peut pas trouver en Maman, du moins le temps que je trouve un remède. Mon père ne va jamais y croire avec ce genre de comportement. Je le visualise déjà m'expliquant des choses que je sais déjà : la société Lidil@nd n'est pas n'importe quelle entreprise. Elle est célèbre dans le monde entier pour la qualité de son lidinium. Personne ne sait comment a été modifiée la recette originale. Dans les premières années de son succès, les affaires d'espionnage se sont multipliées. Toutes les entreprises ont engagé des agents pour infiltrer le système et découvrir l'ingrédient ou le processus de fabrication qui faisait toute la différence. En me disant tout cela, il aura le sentiment de se répéter et il aura raison. Mon père m'a parlé des mesures de sécurité drastiques quand je lui ai demandé s'il était possible de faire mon stage de fin de collège chez eux. Dans un premier temps, l'usine est devenue une sorte de bunker avec codes pour ouvrir chaque porte, dossiers verrouillés par empreintes digitales, perquisitions régulières des employés, interrogations, fouilles. Ce système n'a duré qu'un temps. Toutes ces mesures étaient trop contraignantes et freinaient la production. Alors, en accord avec le gouvernement, les employés de l'usine ont eu interdiction de quitter leur emploi et chaque embauche est contrôlée par les services secrets. Bien sûr, tout cela ne me revient que maintenant ! Je sens une boule de stress se former dans mon ventre. Ma situation est bien plus grave qu'une simple jeune fille égarée. Si quelqu'un me trouve ici, on pourrait penser que je suis une espionne. Je n'ai pas le choix, il faut que je me cache si je ne veux pas finir ma vie en prison. Les voix se rapprochent. J'entends même des pas à présent.

Les Secrets du LidiniumOù les histoires vivent. Découvrez maintenant