Chapitre 1 : Esmée

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Je me réveille en hurlant un cri de guerre. Je fonçais encore au milieu d'un champ de bataille. Chaque soir, mes révisions sur la Troisième Guerre mondiale nourrissent mon inconscient d'une inspiration nouvelle. Un chapitre de mille ans, mon cerveau ne parvient pas à le traiter dans la journée, avant de se mettre en mode sommeil, et me voilà dans un exosquelette, prête à tirer à coup de laser sur tout ce qui bouge. Je sais que mes rêves ne sont pas le parfait reflet de la réalité de cette époque mais les films et les livres n'aident pas à combattre cette image fantasmée du conflit. Ma tablette de révision, aussi fine qu'une feuille de papier, gît à terre, froissée, encore allumée et continue de diffuser mon cours comme un vieux mouchoir lumineux.

Ma chambre détecte mon réveil et allume une lumière tamisée. Au moment où j'en sors, le lit se fait dans un bruissement. Je ne m'embarrasse pas à ranger, la tablette restera sur le sol jusqu'à ce que le ménage soit fait. Je traverse les quarante mètres carrés qui me sont réservés dans cette maison. Mon pyjama active son chauffage. Je suis comme dans un écrin de douceur. Je saisis la poignée de la porte de la salle de bain... et hurle.

Le métal est brûlant. Une odeur de brûlée remonte jusqu'à mes narines. J'approche ma main de mon nez. J'en ai la confirmation, elle vient bien de moi cette odeur de cochon grillé. La douleur m'arrache une larme et un juron que mes parents ne peuvent bien heureusement pas entendre. J'utilise mon peignoir qui traine comme un gant de cuisine et ouvre la porte avec précaution. Je trébuche sur la balance. Mon frère a multiplié les pièges. À présent que je suis bien réveillée, je dois rester sur mes gardes si je ne veux pas finir couvertes de blessures superficielles avant la fin de la journée. Mon instinct de sœur aînée ne me trompe jamais. Ce n'est jamais bien méchant mais avec l'accumulation, je pourrais me retrouver ce soir endolorie, incapable de m'endormir en sentant les bleus se former un peu partout sur mon corps.

Je me relève après ma chute, alerte cette fois. Ma main pulse de douleur. Je n'ai plus qu'à aller mendier auprès de l'armoire à pharmacie. Cette stupide machine se montre toujours réticente à me donner quoi que ce soit, comme si elle pensait que j'allais faire mauvais usage de ses prescriptions. Je scanne ma méchante brûlure. Elle émet quelques cliquetis que je prends toujours comme le témoignage de sa réflexion et me crache une pommade à contre cœur. On pourrait penser que les objets achetés par mes propres parents auraient un peu plus de considération envers moi. Je lui tire la langue.

Mon reflet dans le miroir m'annonce une longue journée. Visage cerné, quelques boutons décorent mon front pâle, cachés entre les taches de rousseur hérités de mon père. J'ai intérêt à éviter ma mère à tout prix sans quoi elle essayera à nouveau de m'envoyer me faire charcuter dans la salle médicale. Pas que les opérations soient désagréables. Les antidouleurs que les machines nous passent dans le sang sont très efficaces et me donne à chaque fois cette impression sympathique de flotter sur un nuage. C'est peut-être à cela que ma mère est accro. À force de subir tout ce stress, elle préfère passer son temps à se faire opérer pour faire disparaître la moindre imperfection. Résultat : elle est très belle. Autre résultat : elle est très bête. Du moins, c'est mon avis. La relation de causalité n'a jamais été démontrée mais puisque mon père refuse qu'on l'emmène chez un médecin et que je suis le futur spécialiste de la famille, je me sens en droit de dresser mes propres conclusions. Papa nous a expliqué que notre maman était née comme ça, qu'il fallait l'accepter et non pas essayer de la changer. Un discours pseudo-pédagogique sur l'acceptation de soi et des autres qui m'a toujours laissé perplexe et je compte bien cesser de m'en contenter le jour où je serai devenue médecin. Née comme ça ? Ce n'est pas satisfaisant. À ma connaissance, des remèdes existent pour toutes les maladies. C'est du moins ce que j'ai retenu de tous mes cours ayant un vague rapport avec la médecine. Je ne suis qu'au lycée, j'ai encore le temps de me spécialiser mais je ne me contente pas de ce qu'on m'apprend en cours. Comme ça m'intéresse, je lis beaucoup sur le sujet. J'ai déjà englouti tous les livres sur le fonctionnement du cerveau de la bibliothèque numérique de mon établissement scolaire. À l'université, je compte bien être major de promo et choisir ma spécialité. Hors de question de me retrouver avec les dentistes ou les gynécologues. Ce que je veux, c'est percer les secrets du cerveau et comprendre comment recâbler ma mère.

Les Secrets du LidiniumWhere stories live. Discover now