Chapitre 2 : le lidinium

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L'usine est ultra sécurisée. Mon badge visiteur ne devrait pouvoir m'emmener que dans les lieux publics : exposition, toilettes, extérieurs et cafétéria. Il s'auto-détruira à la fin de la journée, nous a prévenu le guide. Pas moyen de le garder, même pour s'en faire un souvenir. Pourtant, je ne sais si c'est dû à ma propre bêtise ou à une faille dans le système mais après un quart d'heure de déambulation, je dois me rendre à l'évidence : je suis perdue. L'usine est un vrai labyrinthe et je me perds dans des couloirs où je ne devrais pas me trouver. À un moment où un autre, j'ai dû, sans m'en rendre compte, passer un sas de sécurité resté ouvert sans avoir à badger. Je suis certaine que je n'ai rien à faire ici mais je suis impuissante. Plus j'essaie de revenir sur mes pas, plus je m'enfonce dans les profondeurs de l'usine. J'ai un très mauvais sens de l'orientation dans les bâtiments. Les couloirs se ressemblent tous et j'ai l'impression de tourner en rond. Il règne un silence angoissant. Mes pas résonnent dans mon crâne bien que je sois certaine que la moquette au sol étouffe tous sons qu'ils pourraient produire. À moins que ce soit les battements de mon cœur Je ne croise personne. En plein week-end, les employés ne sont pas nombreux à travailler. L'effervescence des étages supérieurs où se trouve la direction et l'équipe de communication a disparu. J'essaye de garder mon calme mais à mesure que j'avance, un sentiment de panique m'envahit. Je ne trouve aucun escalier pour monter et j'ai le sentiment de descendre sans arrêt. Mes yeux balaient couloirs après couloirs sans trouver aucune indication. La lumière naturelle se fait de moins en moins présente et seule la lueur aseptisée des lampes de luminothérapies éclaire mon passage. Je sens la crise d'angoisse monter. Tient donc, je ne la connaissais pas cette phobie. Jusqu'à maintenant, seule la foule me faisait cet effet. Je n'ai pas envie d'avoir des problèmes ni d'en causer à mes parents. Est-ce que quelqu'un viendra me chercher si je m'assois au milieu du couloir et me met à pleurer ? Je dois me faire violence pour continuer à avancer.

Mon téléphone. Je le sors de la poche de ma veste avec fébrilité mais rien ne répond : mon message de détresse adressé à mon père reste dans la boîte d'envoi. Pas de réseau. Aucun signal GPS. J'aurais dû m'en douter avec le niveau de protection. Je n'ai pas d'autre choix que de me débrouiller seule, alors je continue et l'usine m'avale un peu plus.

Au détour d'un couloir, enfin une anomalie. Devant moi, une porte est ouverte. Jusqu'ici, toutes étaient closes. Je m'approche dans l'espoir de trouver quelqu'un derrière qui pourra m'indiquer mon chemin. Même une personne chargée du ménage, en train de planifier les tâches des robots me serait d'un grand secours, elles connaissent souvent mieux les locaux que les employés, mais je suis vite déçue : la salle de réunion est vide. Tant pis, je ne vais pas rester sur le pas de la porte. J'entre.

Une grande table ronde de bois clair est placée au centre, entourée de dizaines de petites chaises aux coussins molletonnés de velours vert. Les murs sont d'un blanc éclatant mais la moquette grise au sol fait triste mine par son usure. Les meubles sont dépareillés. Je ne suis pas une experte en décoration mais cette pièce serait sans doute universellement admise comme étant laide. Poussée par la curiosité, j'entre malgré l'interdiction faite aux visiteurs de pénétrer d'autres pièces que celles dédiées à l'exposition. Je sais déjà que je ne suis pas dans un endroit auquel je devrais avoir accès et je n'en peux plus de cette litanie sans fin de couloirs similaires. Je sens déjà la crise d'angoisse refluer. Je vais passer quelques minutes ici avant de repartir. J'espère trouver un plan même si c'est celui de l'évacuation incendie. J'espère qu'il me donnera au moins la vague idée de l'endroit où je me trouve. Des dossiers sont disposés sur les étagères et indiquent en lettres capitales : ENVIRONNEMENT, INVESTISSEMENTS, EPARGNE, ...

Je me fais la réflexion que rien de tout cela n'est très palpitant. Je saisis une pochette au hasard. Le dossier est aussi léger que s'il était vide. Pourtant, il est gonflé, son ventre sans doute rempli de documents. Je l'ouvre et y découvre un gros morceau de lidinium effet polystyrène. Tous les autres dossiers sont semblables. Ma curiosité me fait oublier ma détresse. Pourquoi mettre ainsi de faux dossiers dans des étagères ? Est-ce que cette pièce n'est qu'un décor ? Pourquoi l'avoir choisi aussi moche ? Je m'imagine tous les scénarii possibles : une salle de réunion pour recevoir des visiteurs importants ? Sans doute pas, elle serait plus jolie si c'était le cas. La salle  rentrerait plutôt dans la catégorie fonctionnelle que prestige malgré les chaises et la grande table en bois. Une salle de réunion pour les employés ? Sans doute mais cela n'explique toujours pas la présence de faux dossiers. Peut-être que c'est une salle utilisée par la communication pour filmer des vidéos promotionnelles ?

Les Secrets du LidiniumWhere stories live. Discover now