12 avril 1910

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J'ai pété la gueule d'une Veste Grise, je lui ai enfoncé mon poing d'acier dans sa face de sorcière et j'ai fait gicler ses dents sur le parquet.

La seconde suivante, bien sûr, j'étais au sol, immobilisé par ses collègues, à encaisser leurs coups de pieds, mais j'en avais rien à battre. Celle que j'avais mise à terre chialait et vomissait son sang. Il ne fallait pas s'en prendre à Kímon.

J'étais de surveillance à la Cantine, le quartier général de l'Ordre à Stuttgart. L'endroit est pas franchement fréquentable pour des mécas, pourtant ça arrive quand même assez souvent qu'on doive y assurer la sécurité, quand Leuthar organise des soirées avec ses lieutenants et cadres de sa milice. Tout ce beau monde a besoin de se détendre, il paraît.

Kímon était de service aussi. L'ambiance était mauvaise, les Vestes Grises étaient sur les crocs (une histoire de loi pour contrôler l'usage de certains sorts qui aurait été votée aux forceps par l'opposition). En tout cas, l'Ordre, ce soir-là, s'était ramassé une défaite politique dans la face et ses pontes avaient bien envie d'en découdre. Ou, à défaut, de se défouler.

Trois nanas, deux Vestes Grises et une PMF en uniforme (comme quoi, la police magique fédérale a beau dire qu'elle lutte contre l'Ordre, il y en a qui ne jouent pas le jeu) ont pris Kímon pour cible, d'abord sur des détails (le mandater, lui, pour apporter un verre, renverser à dessein de la nourriture au sol, etc.), puis plus méchamment : à le bousculer, à l'insulter.

Les ordres sont assez clairs concernant les clients : quoi qu'ils fassent, les laisser faire. Ils ont tous les droits. Donc j'observais sans réagir, car je savais que ça nous causerait plus d'emmerdes qu'autre chose, si j'intervenais. J'ai rongé mon frein jusqu'à ce que l'un des trois le gifle assez fort pour l'envoyer au sol. Quand Kímon s'est relevé, la pommette fendue, il a jeté un regard vers moi et j'ai compris qu'il m'appelait à l'aide.

Autant dire que j'ai perdu mon calme.

D'un coup, tout le monde a oublié Kímon. On m'a plaqué face contre terre, les deux bras attachés dans le dos. Je crois qu'on aurait pu me tuer sur le coup si la Vieille Naine en personne n'était pas intervenue.

Ça se passait dans un coin de la pièce, un peu à la dérobée, pourtant le cri de la sorcière, quand je l'ai frappée, a ameuté toute l'assistance. La Vieille Naine a vu tout de suite que Kímon était mal en point. Elle a ordonné aux deux autres de me lâcher, puis elle les a engueulées, elles, quant à l'état dans lequel elles avaient mis son webster. Elles ont essayé de se défendre, mais la patronne a plus d'autorité que n'importe qui, peut-être même que Leuthar. Les Vestes Grises se la sont fermée et, quand l'une d'entre elles a tenté d'obtenir réparation — comprendre me punir pour avoir osé porter un coup à sa collègue — , la Naine a répliqué que j'avais fait que mon devoir en protégeant sa propriété.

J'en tremble encore de rage. Pourtant, aussi dégueulasse que soient ses arguments et sa logique, la Naine, ce soir-là, nous a sauvé la mise.

Ça ne l'a pas empêchée de me prendre à part pour me faire la morale — j'en menais pas large — et de me sucrer ma paie. Tant qu'à faire.

Le carnet de MadenWhere stories live. Discover now