16 avril 1907 apr. M.

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Pour fêter les six mois de mon méca et le fait que, en théorie, je peux maintenant m'en servir à fond, je me suis engagé sur une mission de plusieurs jours pour le Baron.

Ce genre de job est payé trois fois plus, mais c'est bien dix fois plus dangereux. Là, en l'occurrence, on nous a transféré à plusieurs centaines de kilomètres au sud de Stuttgart et on a récupéré une cargaison d'iris. Ce métal est si précieux pour les enchanteurs qu'il vaut une vraie fortune : c'est la base de tout objet magique, mécartifice compris.

Du fait, le Baron et la Vieille Naine en font un trafic assez intensif.

La mission était très simple : transporter les cinq caissettes de dix kilos chacune à travers la forêt, jusqu'à la capitale. L'iris, dans cette quantité, ne peut pas être transféré sans que ça se remarque, donc, pour la discrétion, faut se le trimbaler à pattes... Dès lors que ça devient un peu trop physique, les sorciers font appel aux mécas : ces messieurs-dames de magie ne vont quand même pas s'abaisser à marcher pendant des journées entières.

Le voyage a duré deux semaines. Louve en était. Louve ne fait que des missions dangereuses et bien payées : elle trouve ça plus intéressant et elle peut glander au calme le reste du temps, m'a-t-elle dit.

La forêt couvre presque l'intégralité des terres de la Fédération. Trois siècles ont suffi à ce que la végétation ait dévoré toute civilisation. Parfois, on tombe sur quelques centaines de mètres de route qui tranchent la verdure de façon inexplicable, d'autres fois les arbres sont si denses et rapprochés qu'on n'en distingue plus la frondaison.

On marchait en bordure d'une grande zone herbeuse et vallonnée quand le sol s'est effondré sous mes pieds. Ce qu'on avait pris pour un champ sauvage s'est avéré être le toit d'une maison ensevelie. Je suis passé au travers, j'ai réussi à me rattraper à un renfort en acier, mais mon mécartifice encore trop neuf s'est bloqué et je ne pouvais plus me hisser hors du trou. Louve a réagi au quart de tour : elle a glissé une corde sous mes aisselles et ils s'y sont mis à deux pour m'extraire. Heureusement, l'iris que je transportais était bien arrimé dans mon dos.

Après ça, j'ai sympathisé un peu plus avec Louve. On est voisin de chambre après tout et puis, vu qu'elle venait de me sauver la vie, j'ai décidé de surmonter la rancœur de toutes ces soirées à attendre qu'elle et sa conquête du moment arrêtent de crier.

Elle aussi a mis de côté ses aprioris sur moi. Éméchée par une bouteille un peu trop vite descendue pour célébrer ma survie, elle m'a avoué être jalouse de mon bras, de la finesse de l'ouvrage, de la beauté de la mécanique. C'est un bras de mécamage, ça, pas de mécartificé, et ça inspire la méfiance, un gosse qui débarque de nulle part avec une telle merveille.

On était de part et d'autre d'un feu de camp. Les deux autres gars avec nous sur la mission avaient déjà rejoint leurs hamacs, mais ni Louve ni moi n'avions sommeil : j'étais grisé de sentir naître un début d'amitié entre nous.

À mesure que je racontais l'histoire de mon méca (et par extension, mon histoire, puis celle de Kímon), j'ai vu son visage s'assombrir. La lumière tremblante des flammes creusait d'ombres ses traits tendus.

« Celle-là, elle est pas mal, et pourtant, j'en ai entendu des horribles», elle a sifflé entre ses dents quand je me suis tu.

Je me suis senti vidé et épuisé, de me livrer à elle comme ça, mais je ne regrette pas. Depuis, je sais que je peux compter sur elle, c'est devenu une alliée et une amie. D'ailleurs, au foyer (nom que donnent mes voisins de palier à notre immeuble), je suis beaucoup mieux accepté : j'apprends à faire confiance aux autres, et inversement.

En soi, si on exclut les risques de se faire repérer ou de passer à travers le toit d'un bâtiment en perdition, cette première mission triple solde, c'était une expérience plutôt bonne.

En soi, si on exclut les risques de se faire repérer ou de passer à travers le toit d'un bâtiment en perdition, cette première mission triple solde, c'était une expérience plutôt bonne

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Le carnet de MadenWhere stories live. Discover now